jeudi 31 décembre 2009

Devant les Eglises

Orthodoxe, romano-catholique, gréco-catholique... Coincées entre des immeubles récentes, déplacées ou fermées sous le communisme, croulant sous le poids des années...
En Roumanie, l'Eglise vit les "deux poumons" de la chrétienté douloureusement. Pourtant, toutes ses manières de vivre à la suite de Jésus se complètent et peuvent s'enrichir. Devant les portes, Elle respire. Derrière, son coeur bât. Et en sortant, Elle balade son sourire ébahi jusqu'à la prochaine aventure.

mercredi 30 décembre 2009

Devant les bougies


12. Elle en a comptées quatre groupes de trois. Leur lueur rend le reste de l'église sombre. La noirceur des murs semble autant dû à l'éclairage de ces bougies qu'au temps. Cela fait quand même plus d'un siècle que les pierres recouvertes de chaux peinte de cet imposant édifice sont posées là, en plein vieux Bucarest. La partie de la ville qui a résisté à un grand feu dans les années 1930, celle qui a tenu bon après les tremblements de terre des années 1970 et qui est sortie plus ou moins indemne de la période communiste. A l'entrée, Elle hésite, impressionnée par l'espace imposant qui se dessine devant elle. L'ambiance est pesante, comme dans une grotte. La poussière rend invisible les fresques dont un bout de main ou un oeil percent selon où Elle se place. Suivant les moquettes étroites qui guident vers la nef, Elle aperçoit contre les parois ténébreuses, des chaises empilées, des coussins à terre, des tables recouvertes de dentelle. Elle se croirait presque chez un antiquaire. En face d'Elle, la faible lumière des cierges se reflète sur la porte qui garde le coeur de l'église, l'iconostase. Les détails ont disparu sous les doigts des fidèles qui, après avoir récité une prière, touchent chaque visage, chaque main, chaque manteau des saints figés dans le cuivre. Arrivée au centre de l'église, Elle lève les yeux au plafond qui disparaît dans la pénombre. Comme si l'espace semblait s'étendre à l'infini, sous le regard attentif des Pères de l'Eglise qui veillent sur le peuple de Dieu.

15. Il est quinze heures et la vieille femme au manteau noir assorti à la robe du curé doit fermer les lourdes portes en bois sculpté. Dehors, la luminosité l'aveuglerait presque.


lundi 28 décembre 2009

Devant le dossier

Lentement, il ouvre une pochette en plastique blanche et sort une cinquantaine de pages. Gestes précis. Un peu comme s'il voulait qu'Elle entende le bruissement de chacune d'entre elles. Au dos, Elle remarque l'inscription en rouge CNSAS (archives de la Securitate). Ses yeux bleus, petites fentes au dessus de grandes poches sur un visage aux airs de poupon, passent d'Elle aux lettres administratives sur le bureau alors qu'il en lit quelques passages. "Terroristo", "pericolo", comprend-Elle dans le flot continue de la voix posée et grave du monsieur au costume noir bien mis. Au fur et à mesure que la paperasse s'entasse, Elle sent qu'il perd de son aplomb. Une larme naît à l'encolure de ses yeux. Ses traits ne tremblent pas. A la dernière feuille, il balance son bras sur son visage et efface quelques gouttes avec le revers de sa manche. Fait une pause en la fixant. Comme un défi. Sans se départir de cette expression "je vais vous dévoiler la vérité sur mon pays". Sur ses joues empourprés, Elle voit passer une certaine fébrilité. Une larme reste logée dans le recoin d'une ride, brillante sous le néon qui éclaire la pièce aux murs dénudés. Il ne se donne même pas la peine de l'essuyer. Le drapeau derrière lui repose ostensiblement. Il fait défiler les photos de "ses" barricades, 20 ans plus tôt. Une fois arrivé à la fin, il retourne sur l'espace bureau de son ordinateur, dont le fond d'écran arbore une image en noir et blanc d'une foule sur une certaine place de Bucarest. "Forte importante", répète-t-il à foison lors d'une diatribe qu'Elle ne comprend pas. Au-delà de la barrière de la langue, le peut-Elle ? En sortant du bâtiment à l'architecture soviétique, Elle jette un dernier coup d'oeil à l'ancien "révolutionnaire", son diplôme de "dissident" encore à la main. Il semble content de sa prestation. Comme un acteur qui a réussi à impressionner son public.

Devant le bazooka

Les murs sont rouges. Sang. Des photos de Ceausescu côtoient celles de Staline, moustache à l'appui. Plusieurs bas-reliefs parcourent les murs. Ca et là, une faucille et un marteau. Les éclairages au dessus des tables rappellent de piètres imitations des lampes de l'aristocratie française du début du siècle. De gros rideaux dorés habillent les fenêtres. Un groupe de jeunes rient fort en buvant de la Carlsberg alors qu'un homme d'une quarantaine d'années fixe sa bière Ursus en allumant une cigarette. Elle lève un regard curieux vers la Une de la "Scintea", journal populaire communiste sous l'ancien régime, qui vante les mérites du "génie des Carpates". Les haut-parleurs crachent les Beattles, Sting et Jimm Hendrix.

De l'autre côté du bar tenu par un vieil homme à la barbe débraillée poivre et sel, dans une seconde salle, les larges manteaux des clients recouvrent des chaises en bois clair, rembourrées de cuir, assorties au lot de tables toutes simples. Sous la mine stoïque de Mao Zedong et Fidel Casto, deux hommes jouent avec un bazooka. Un vrai. Acheté en Belgique. Mais vidé de ses munitions, insiste le propriétaire en remettant une mèche de ses longs cheveux noirs derrière ses oreilles auprès d'Elle. Le trentenaire à la barbe de trois jours en jean-chemise à grosses mailles le range assez vite à côté d'un uniforme de policier soviétique en haut d'une armoire en fer.

Dans l'escalier qui monte au premier, Elle manque de tomber : les marches ne sont pas égales. A mi-chemin, Elle se retrouve nez-à-nez avec une borne kilométrique "Ici commence la Roumanie sans le communisme". Si la peinture pourpre est identique à l'étage inférieur, le choix des portraits renvoie à une autre partie de l'Histoire : les "anti" et détracteurs de leurs contemporains, à l'honneur quelques mètres plus bas. Les petites étagères éparses fixées au mur abritent les écrits de Soljenitsyne et autres rescapés. C'est l'humour noir roumain, Lui explique-ton, une sorte de cynisme poussé à l'extrême. Après en avoir pleuré si longtemps, il faut savoir en rire. A coup de portrait du couple Ceausescu fait par un enfant à la peinture à l'eau.

mardi 22 décembre 2009

Devant la croix

Il y a celle encastrée dans le bitume où les journalistes se tenaient quand la police politique a tiré sur la foule un certain jour de décembre au centre de Bucarest. Oubliée par les passants qui ne baissent plus les yeux. Difficile à trouver pour les touristes qui tournent un quart d'heure avant de la situer.

Il y a celle en pierre, au milieu d'une des places principales de la capitale qui commémorent les morts de la "révolution" roumaine. Ornée de petites fleurs et de lumières, les quatre voies de voitures passent à côté sans s'arrêter et les piétons n'ont aucun passage aménagé pour la rejoindre. Il y a celle toute simple qui pend aux rétroviseurs du taxi. Immanquablement.




Il y a celle qui pointe ostensiblement vers le ciel en haut d'un discret clocher coincé par d'immenses immeubles qui l'entourent. Presque écrasée, presque cachée, presque invisible. Sauf pour le curieux averti. Il y a celle qui se voit de tous, portant un Jésus grandeur nature tout de doré recouvert, au bord d'un boulevard aux allures de périphérique. Derrière lui, un bâtiment aux faux airs de palais arborent des bas-reliefs assortis. Il y a celle en bois, aussi haute que ne sont petites leurs voisines qui ornent un monument, érigé en face, à la gloire des combattants communistes morts pour la "libération" de la Roumanie en 1948.


Il y a celle tout de fer forgé aux bras travaillés qui surplombent une cathédrale aux dômes verts pommes et aux murs blancs impeccables. Une combinaison que la catholique latine qu'Elle est trouvera toujours exotique.

Il y a celle qui se découpe délicatement devant un vitrail dissimulé à la face du monde dans une chapelle nichée au coeur d'une maison de religieuses. Sur une table simpliste, entouré d'icônes travaillées, le crucifix d'à peine 10 centimètres semble transparent tout en étant la première chose que l'on voit en entrant.



Il y a celle que l'on devine, sous les différents pulls de ce prêtre. Sans ornement, sans apparat. Pas trop sortie, en souvenir d'un temps où il était toujours suspect de "croire". Jamais absente, en souvenir d'un temps où "croire" signifiait survivre. Au risque de la mort.

lundi 21 décembre 2009

Devant l'écran

22h29. A l'entrée de la station de métro "Universate" de la capitale roumaine, un vieux monsieur, la soixantaine grisonnante, regarde la télé fixée au plafond. Autour, des panneaux "1989-2009". Une vingtaine de photos de foule brandissant des drapeaux roumains. Un livre d'or posé sur une table. Au milieu du grand hall, on dirait une anecdote racontée à la va-vite.

22h31. Devant l'écran, les yeux du vieux monsieur s'attardent sur les groupes de jeunes et moins jeunes qui enfoncent la porte du palais de Ceausescu, dictateur notoire de cet ancien pays de l'Urss. Il tressaille au son des balles qui fusent mais ne quitte pas du regard les images qui défilent. Puis il perd sa concentration, semble ailleurs quelques secondes avant de retrouver l'écran où l'on aperçoit maintenant les débris jonchant de belles moquettes.

22h36. Le vieux monsieur fait mine de s'en aller, s'arrête trois pas plus loin et se retourne, à nouveau attiré par la vidéo d'archives qui enchaîne avec un groupe d'hommes balançant des meubles par une grande fenêtre. La netteté d'un travelling fait défaut. Il se rapproche, reboutonne son manteau alors qu'une fumée blanche s'échappe de sa bouche.

22h38. Le vieux monsieur sert ses mains derrière son dos. Trois étudiants l'ont rejoint. Quand le film en arrive à un plan serré sur des cadavres à même le sol dans une pièce sombre, les trois nouveaux arrivants ne répriment pas un mouvement de recul. Le vieux monsieur ne bouge pas alors que les jeunes ne s'attardent pas plus longtemps.

22h44. Finalement, il ne reste que le vieux monsieur. Devant l'écran. Elle ne sait pas ce qui se passe dans sa tête, Elle ne peut que l'observer et essayer de décrypter. Elle ne peut pas lire les mots qui s'étalent en rouge, en noir, en gras mais elle se doute de leur sens. Elle ne comprend pas les slogans recrachés par la petite télé mais elle devine les sanglots d'une femme dans le fond sonore quand la caméra zoome sur les cadavres de la pièce sombre.

22h51. On lui traduit quelques histoires du livre d'or : "vous nous avez volé notre révolution" ; "mon père est mort sous les balles de la Securitate et aujourd'hui, ses bourreaux sont toujours au pouvoir" ; "vive notre président, digne héritier des dissidents"... Elle s'éloigne avec ses questionnements.

22h59. Le métro ferme. Le vieux monsieur rentre chez lui. Les écrans sont éteints. Jusqu'à demain.

Devant Elle

Elle a choisi de se lancer. Une fois de plus. La Moldavie avait été un rythme de folie, un coup de vent, et au final quelques regrets. La Roumanie, Elle ne sait pas ce que ce sera. Elle n'est même pas sûre de savoir ce que c'est.

Depuis une semaine, Elle avale les lignes sur ce pays des Carpates. Cette chaîne de montagnes qu'Elle n'avait pas su placer sur une carte au collège, provoquant une réunion parents-prof hilarante. "Je me fais du soucis pour votre fille, vous savez, elle a mis les Carpates dans le Caucase !" s'était exclamé le vieil enseignant devant son père et sa mère riant sous cape, aussi ignare que leur fille sur la question.

Ce pays donc. Meurtri, ensanglanté, corrompu. Devant Elle, il est blanc. Immaculé. Grâce à cette neige abondante qui lui rappelle les coteaux du Saint-Eynard dans son enfance, quand Elle descendait à l'école en boots et luge. Neigeait-il 20 ans auparavant, quand la population battait le pavé contre le "génie des Carpates" (encore elles ! ), le "dictateur rouge", le "conductore", le Nicolae Ceausescu ? Sur les photos, on ne dirait pas mais ils devaient bien sentir le froid leur mordre les doigts et le visage. Ils n'ont pas dû marcher très loin de la route qu'emprunte Son bus. En regardant à travers la vitre baveuse, Elle essaie d'apercevoir des reflets du passé qui se faufileraient entre les flocons. Alors que les néons crillards de Bucarest se font de plus en plus présents sur les grands immeubles bordant l'allée principale.

lundi 30 novembre 2009

Nous n'irons plus au manège

Aujourd'hui son grand-père vient d'être admis à l'hôpital. Il a 87 ans, un coeur qui fait des pauses, une tension qui repasse en première par moment et des membres avec la facheuse tendance de croire qu'ils peuvent arrêter de marcher sans prévenir. Il y a un an, il a commencé à devenir hypocondriaque, se plaignant tous les matins d'une nouvelle douleur, se couchant tous les soirs en croyant que fermer les yeux suffirait à le faire partir vers la grosse lumière. Même si tous les docteurs lui disaient qu'il était plutôt en bonne santé pour son âge. Depuis six mois, depuis que son enveloppe corporelle va effectivement moins bien, il a accepté que son heure allait venir.

Le plus dur n'est pas pour Elle mais pour sa mère : Elle a beau essayé de relativiser, Elle n'arrive à comprendre comment celle-ci peut être si sereine, presque résignée. Sa maman a accepté qu'il devrait bientôt partir mais Elle n'accepte pas encore. Jusque là, c'était une idée, des mots, une invisibilité, une impossibilité... Maintenant, c'est une tranchante réalité, une poignante gène qui s'incruste dans ses entrailles.

Il faut croire que chaque fin de vie rappelle que ceux qui nous sont proches vont, un jour, disparaître aussi. Alors oui, il a eu une belle vie, une riche vie, des amours, des amis, des enfants, des petites-filles, des passions, des déceptions. Alors non, ça ne veut pas dire que cela ne touche pas, qu'on aimera pas qu'il reste encore un Noël de plus, qu'il soit encore là pour raconter pour la 26e fois "tu sais, quand tu es née, j'étais au Mozambique et quand le télégramme est arrivé, j'ai sorti quelques verres avec mes ouvriers et nous avons trinqué à ta santé"... Alors oui, trinquons encore.

jeudi 22 octobre 2009

Bienvenue chez mémé

Samedi 10 octobre. 22h. Elle loge dans un appartement meublé que la propriétaire loue régulièrement à l'association de médecins. Situé à quelques intersections de l'artère principale de la capitale, la rue Stefan Cel Mare, le parc d'immeuble paraît avoir été construit durant la période soviétique, quelque vingt ans plus tôt. Dans l'obscurité de la nuit, il Lui semble que d'immenses arbres portent leurs ombrages sur les façades beiges. En fait, les taches plus sombres révèlent l'usure de la peinture. Après avoir franchi la porte bleue, Elle manque de tomber dans les escaliers : les marches de béton sont loin d'être nivelées. Au premier, des prospectus dépassent des boîtes aux lettres en fer rouillé comme si plus personne ne lisait son courrier depuis bien longtemps.


Derrière la double porte blindée de l'appartement, se cache l'ambiance des maisons d'antan. Moquettes à fleurs marron orangé, tapis à frange qui recouvrent un canapé-lit, armoire en bois massif, carrelage et tapisserie jaunie au mur. Elle s'attend presque à trouver une vieille dame sur le tabouret blanc de la cuisine, dans un grand jupon noir, un éplucheur à la main et un sac de patates sales sur la table. Sous le regard figé d'une tête de biche en plastique, Elle sort goûter à la frénésie d'un samedi soir dans le pays le plus pauvre d'Europe.

Chut, on signe

Samedi 10 octobre. 7h30. Le silence est assourdissant. Dans le hall de l'aéroport, Elle tourne la tête à chaque mouvement de mains. Celles-ci volent, dansent, s'agitent... Une conversation passionnante se déchaîne sans un mot. Par moment, sa collègue murmure, chuchote les phrases que ses avant-bras transmettent. Dialogue avec des sourds et même parfois muets. Sans rien comprendre, Elle devine aux expressions du visage un sentiment, une opinion. Sur quoi ? Elle ne devine pas jusque là. Certains gestes lui semblent familiers : Elle s'exclame alors "je sais ce que cela veut dire !" Comme un gamin qui vient de saisir le sens des quatre lettres assemblées dans un livre de 200 pages. Ce voyage en Moldavie avec une délégation de Pédiatre du Monde qui va organiser un congrès sur la langue des signes s'annonce doublement dépaysant.

A l'arrivée, le petit aéroport de Chisinau (lire Kichino) est presque bondé. Une cinquantaine de personnes se pressent devant les portes du débarcadère, L'empêchant de passer. Après s'être frayé un chemin, le petit groupe composé de deux médecins, un couple de sourds, la responsable de l'association pour la promotion de la langue des signes et deux interprètes se retrouvent près des portes. Autour d'eux, des pères embrassent leurs enfants sous le regard des grands-parents, des couples s'enlacent amoureusement et de vieux amis se donnent l'accolade. Leur point commun ? Les revenants arborent tous fièrement une rose ou un bouquet de trois fleurs qu'ils viennent de recevoir. Elle comprend mieux que les petits fleuristes qui étalent leurs biens dans des box de deux mètres sur trois soient encore ouverts alors que la nuit a englouti la ville depuis plusieurs heures.

vendredi 25 septembre 2009

Parce que ma peine est joie


Parce que ma peine est joie,


Parce qu'au fond mon sourire devance les sursauts de mes humeurs,


Parce que je m'émerveille d'une poussière éphémère sur mon chemin,


Parce que le bonheur des autres dépose dans ma vie mille candeurs,


Parce qu'un regard fait tomber mon coeur nu au creux de ma main,


Parce que ressentir encore et plus loin n'est pas une envie mais un besoin,


Parce que mon regard apeuré masque les racines hésitantes d'une foi aux ramifications subtiles,


Parce qu'un hoquet de rire efface pupilles embuées et froncements de sourcils,


Parce que croire envers et pour tout m'est encore étranger,


Parce que vouloir savoir m'éloigne de la vérité,


Parce que ma volonté n'a prise sur rien de tout cela,


Et parce que tu connais mieux qui moi ce qui est bon pour moi.


Parce que ma peine est joie,

Toi là-haut,

Fais que ma joie soit pleine.


(inspiré par un billet d'Edmond Prochain)

samedi 12 septembre 2009

Premiers pas de danse cha-cha

Autour d'Elle, Ils sourient à tout-va, Ils tendent leurs mains vers les nouveaux arrivants. Elle se balance sur ses pieds, s'assoit dans le fond de la salle avant de se dire que cela fait encore plus bizarre. Elle s'avance discrètement et se cale derrière la vingtaine de personnes présentes.

Le berger, meneur de la prière, prend la parole : "c'est tout simple". Elle n'est pas convaincue. L'assemblée se tourne vers un petit autel aménagé sur une table avec un drapé, une croix et une icône : Elle se prépare à vivre sa première expérience chez les charismatiques.

Les personnes du premier rang entonnent une louange. Au bout du premier couplet, les mains se lèvent, les yeux se ferment, le rythme s'accélère. Le berger prend le micro : "Si vous avez envie de dire quelque chose, ne vous retenez pas". Elle regarde avec curiosité les autres. La cadence est vive mais Elle ne se sent pas de taper dans ses mains.

Ses acolytes chantent de plus en plus fort. Son bassin commence à aller de droite à gauche mais Elle conserve une certaine gêne. Pourquoi crier qu'Elle aime Dieu alors qu'Il le lit dans son coeur ? Pourquoi applaudir Jésus quand Il entend les murmures de ses pensées ?

Une fois la session finie, Elle sait qu'un air perplexe s'affiche encore derrière sur ses joues. Si Elle ne sait pas encore quelle est la meilleure manière de prier pour Elle, Elle peut déjà dire que ce moyen d'expression de la foi ne lui convient pas... encore. Car, paraît-il, être chacha, ça s'apprend aussi.

dimanche 6 septembre 2009

Un dernier regard en arrière

A chaque beat de batterie, Elle voit l'ombre de son pas cadencé qui s'étire dans la rue.

A chaque scratch amorcé, Elle entend les conversations sans queue ni tête qui passent d'un sujet à l'autre, sans autre raison que l'envie de balancer des idées dans le vent.

A chaque prod mélodique, Elle sent la douceur qui se dégage de son regard indifférent et son humeur neutre.

A chaque phrase lyrique, Elle devine les fous rire partagés pour des discussions plus connes les unes que les autres.

A chaque tempo décalé, Elle distingue les silences apaisés qui valent plus que les paroles vides du brouhaha ambiant.

A chaque syllabe hachée, Elle prend la claque dans la gueule qu'il lui a balancé quand Elle s'est égarée plus loin que les sentiers de l'amitié.

A chaque rime bien trempée, Elle savoure le lien retrouvé entre eux, sans encore saisir les moyens d'éviter une fausse note pour garder le son à flow.


Le jour où tout recommença

Au petit matin, Elle se prépare. Etre levée si tôt un dimanche, il faut le faire quand même, Elle qui vient d'une famille où la grasse matinée dominicale prévoyait que l'on débranche téléphone et sonnette de la maison jusqu'à midi. En mode zombie, Elle s'habille. Boucles d'oreille ou collier ? Pull ou joli t-shirt ? Pour une première rencontre, il vaut mieux avoir l'air de quelque chose. Mais de quoi ? Elle ne sait même pas si Elle se fondra dans la messe, si Elle ne sera pas dévisagée pour avoir osée passer le parvis alors qu'Elle esquive ce rendez-vous depuis plusieurs années maintenant.

Après avoir hésité trois fois avant de lacer ses chaussures, signe du départ, Elle passe enfin la porte de son appartement. En sortant de l'ascenseur, Elle sent une légère brise et son estomac se noue un peu plus. Ne risque-t-Elle pas d'être déçue une fois de plus ? Cela fait tellement longtemps qu'Elle ne se retrouve plus dans les sermons du monsieur à la robe blanche, qu'Elle cherche sur les fioritures des voûtes le sourire de Dieu absent des visages de l'assemblée, qu'Elle remet à plus tard le moment fatidique d'entrer en contact avec une nouvelle communauté de fidèles.

Exceptionnellement, Elle a laissé ses écouteurs sur son lit. Si Elle doit y aller, alors Elle veut le faire bien et se mettre, dès le trajet, à fond dans cet instant. En voyant le clocher se découper entre les immeubles, Elle ne peut s'empêcher de ralentir le pas. Jamais Elle n'était allée à la messe toute seule avant et Elle se prend à regretter d'être déjà à mi-chemin. Mais les cloches se mettent à carillonner et son côté volontaire prend le dessus : si tu n'y vas jamais, faudra pas te plaindre de ne pas trouver ta place dans l'Eglise ! lui susurre-t-il.



A l'entrée, une vieille paroissienne lui tend le guide de la rentrée. Au moins, Elle aura de la lecture si Elle s'ennuie. Sans trop oser regarder autour d'Elle, Elle s'installe sur l'une des petites chaises en bois et osier, à mi parcours entre la porte (pour fuir) et l'autel (pour voir). Avec plaisir, Elle découvre des familles asiatiques, des mamies africaines, des couples occidentaux et des enfants un peu partout.... Un vrai visage d'Eglise bariolé. Peu de jeunes mais en même temps, s'ils font tous comme Elle, venir une fois tous les 36 du mois, Elle ne peut pas leur en vouloir.

Le prêtre sourit beaucoup, l'assemblée n'hésite pas à rire pendant l'homélie, ses voisines échangent des confidences à voix basse. Une messe vivante. Une bonne surprise. Après la communion, Elle Lui confie sa trouille et promet de toujours essayer de la dépasser.

Sur le chemin du retour, Elle s'aperçoit qu'un semblant de sourire traîne sur ses lèvres. Finalement, personne ne l'a mordue, personne ne l'a jetée dehors, personne ne l'a regardée comme une pestiférée. On lui a même dit bonjour !

samedi 22 août 2009

Lourdes, ville sourire

Six heures de train avec les malades, un article d'une page à rendre, moins de 24 heures sur place : pour sa première visite à Lourdes, avec le train transportant les malades, Elle n'a pas beaucoup de temps pour rencontrer la Madone et son rejeton. 

Dans le train, Elle court de l’avant à l’arrière pour voir les visages, sentir l’ambiance et découvrir les pèlerins. Si Elle remarque les chants et prières dans les haut-parleurs à la place de la voix suave de la Sncf, son esprit n’est pas à la contemplation. 

En arrivant sur le quai, il Lui semble être dans une gare de plus, classique. Un peu plus de personnes en fauteuil roulant que d’habitude, certes. Pas vraiment de magie encore. Au détour d’une rue étroite, la basilique Sainte Bernadette apparaît, éclairée par un rayon de soleil perçant les nuages : un bel édifice architectural dans un paysage agréable. En scrutant la vue panoramique sur l'esplanade de la galerie de l’accueil Notre-Dame, même sentiment : l’impression de ne pas arriver à dépasser la carte postale. 

Le soir, pas le temps de s’arrêter à la grotte et aux piscines. Mais Elle prend quelques heures pour manger avec un hospitalier qui a accepté de la guider sur les rives du Gave qui traverse la cité mariale. 

Il lui raconte son Lourdes : brancardier dès 14 ans, puis la découverte du train blanc, la routine après plus de dix ans dans la même équipe et un nouveau service, en salle, depuis trois ans. Il lui confie le dessous des cartes et pourquoi il reviendra tous les ans, toute sa vie. 

Le lendemain matin, après une bonne partie de la nuit passée à écrire, Elle discute avec quelques malades du train sur le chemin de la messe d’ouverture à la basilique souterraine Saint-Pie-X. On lui a dit qu’elle ressemblait à un hall de gare mais avec cette foule bigarrée, les étendards en hommage aux Saints et les couleurs vives des tenues assomptionnistes, la salle respire la fête. 

« Bonjour et bienvenue ! » Elle devine le prêtre, croisé la veille à la gare, plus qu'Elle ne le voit, perché à côté de l’autel au milieu des pèlerins. Son ton la frappe. Une voix qui dit : entre, tu es chez toi et te voir me ravit. Finalement l’évidence est là : son premier pèlerinage ne se nourrit pas de pierres, si belles soient t'elles, ni de fontaines, si sacrées soient t'elles. Mais des sourires rencontrés au fil des interviews. Jusqu’à cette bonne sœur, dans la queue menant à la grotte, qui a accepté de déposer trois bougies pour Elle et lui a permis d’être à l’heure à la gare. 

Et dans le train de retour, Elle se surprend à chercher le regard attentif des hospitaliers, le chef du train courant dans tous les sens pour être sûr que tout le monde ait à manger, les deux fillettes qui faisaient la conversation aux malades allongés et la petite autiste qui lui a pris la main pour qu'Elle la fasse danser en souriant timidement. Et tant pis, si l'on croit qu'Elle vit encore chez les Bisounours en lisant ces quelques lignes.  


Reportage dans le train blanc

vendredi 7 août 2009

L'empire du milieu à portée de périphérique

En sortant du tram, une odeur de sauce piquante mêlée à la brise de la fin de l'après-midi assaillent ses narines. D'un pas décidé, Elle passe devant un stand improvisé de fruit tenu par un garçon à la peau cuivré et descend l'allée qui la ramène chez Elle. 

Sur un banc vert dont la peinture se ride, de vieilles dames dans le même état sont assises, soit en grande discussion lançant des interjections à l'emporte-pièce incompréhensibles, soit figées le regard perdu se posant sur la vie qui les entourent. 

Des camions garés, ou plutôt arrêtés au milieu de la route, déversent des cartons par centaines pour les restaurants du coin. Les devantures arborent des noms exotiques, écris en idéogrammes. Derrière les vitres, des familles chinoises, vietnamiennes, coréennes dégustent leurs plats dans des bols, baguettes coincées entre le pouce, le majeur et l'index. 

Alors que les immeubles commencent à devenir plus fréquents, un imposant escalier de pierre marron clair se profile sur sa gauche. En haut, des portes en verre laissent entrevoir des bougies qui éclairent partiellement de grandes voûtes. Au fond, un autel trône devant les prie-dieu bien en ordre. 

Après avoir traversé la rue en sens unique, Elle se fraye un passage dans la file qui s'est formée devant une échoppe toujours bondée. Un peu plus loin, sur le trottoir élargi, un sans-abri amputé d'une jambe à partir du genou dort à même le sol, sa casquette posée devant lui. Les couples enlacés passent devant sans un regard. En face, une aire de jeu animée semble tout droit sorti d'un autre pays : les gamins aux yeux bridés hurlent et courent sous le regard de leurs parents qui s'échangent conseils et secrets d'éducation. 

La porte du restaurant suivant est toujours fermée en fin de journée. Mais le matin, ils sont foules à prendre un petit-déjeuner composé de soupe de pâtes et de viandes. Avant de tourner dans la ruelle piétonne qui la mène au pied de sa tour, Elle s'arrête un instant pour admirer les jeux de mah-jonc dans un magasin d'art asiatique. Le béton laisse place à de petits pavés  inégaux. Des petits groupes de jeunes, casquettes à l'envers et clopes au bec, regardent les gens pressés. 

Avant de gravir les dernières marches de fer qui la séparent de son cocon, Elle fait quelques pas vers les tables en pierre sous les quelques arbres de l'allée où des grands-pères de toutes origines s'adonnent régulièrement aux dominos. 

Elle appuie sur le bouton de l'ascenseur alors que le concierge, un grand black body buildé, s'affaire dans sa loge. En sortant à son étage, elle croise une voisine. 

Un sourire. "Bonne soirée". 

mercredi 5 août 2009

Deux mains, deux directions


Ses grands yeux verts la fixe sans jugement. Tamara, longue panthère noire immobile, l'attend tous les soirs sur la couette aux draps bleu pastel. Gardienne de ses rêves, elle se garde bien de les divulguer. Pourtant ils ne sont jamais très loin de son oreiller. Le dernier en date : un large tissu blanc qui flotte dans le vent, un rayon au doigt et un cocon dans une vallée. 

Elle et Lui en avaient déjà parlé. Sans trop de précision. Juste le nombre d'invités, la couleur des serviettes et la saison. Pas vraiment de date, mais un lieu quand même. 

Elle et Lui se seraient mariés dans cette petite église aux pierres vieillies entre un pic et une montagne au dos rond. Sous le regard des Saints illuminés sur les vitraux vert et jaune. Celui de leur famille, nombreuse car plusieurs fois recomposée de part et d'autres. D'ailleurs il aurait fallu faire des choix, entre les grands-parents qui ne peuvent plus se voir et les oncles et tantes à foison. Au niveau des amis, Elle et Lui avaient déjà opté pour un minimum, ceux qui comptent, ceux qui sont là depuis longtemps et qui ont toujours veillé sur l'un ou l'autre, envers et contre tout, même les conneries de l'adolescence. 

Lui aurait porté un costume gris, qui met en valeur ses yeux clairs. Elle aurait porté une longue robe, qui met en valeur son décolleté. Lui aurait choisi des textes drôles, des moments où l'assemblée aurait ri avec les futurs mariés pour créer l'ambiance qu'Il dégage dans la vie : une légèreté sereine empreinte de bonne humeur et de bon humour. Elle aurait été en charge des textes spirituels, des instants où l'on sent que la cérémonie n'est pas seulement une heure à s'asseoir et se lever sans comprendre de qui on parle quand on dit "seigneur" : une foi qui se dégage de son sourire qu'importe la personne qu'Elle a en face d'Elle. 

Une fusion parfaite ? Une fusion impossible. Elle et Lui ont beau marcher main dans la main, côte à côte dans l'allée de l'église, sur le parvis, Elle va à droite et Il va à gauche. La lumière éblouit quand on ouvre d'un coup la massive porte en bois de l'édifice mais l'instant de grâce dissipé, la réalité frappe d'autant plus fort. Elle et Lui ont marché main dans la main, côte à côte dans l'allée de la vie, sur le pallier de celle-ci, Elle partait, Il restait. 

dimanche 2 août 2009

Enfants de Sandui, Sichuan



Ces visages sont-ils malchanceux d'être cachés au fin fond de la Chine où les conditions de vie feraient fuir la Française lambda, ou privilégiés d'avoir des successions de vallées et collines comme terrain de jeux avec, en prime, télé et playstation dans la pièce qui sert de salon à côté du fourneau version moyen-âge et des planches recouvertes d'une couette pour lit ?

Photos : SL/DR. Réalisé le 15 mai

Souviens toi Sichuan













Dans "Souviens toi Jonathan", le héros de Cosey a perdu la mémoire. Les Sichuanais sont loin d'avoir oublié les trois minutes qui ont changé leur vie. Devant toutes les caméras du pays, ils étaient des milliers sur dans les rues, dans les temples, dans les ruines à dire ... "merci". Merci aux autorités d'avoir beaucoup fait pour la reconstruction, pour les familles déchirées. Merci aux volontaires, aux inconnus.


A cinq heures de train au nord de Chengdu, deux heures de bus sur une route qui serpente dans les collines et 10 minutes de pouss-pouss sur un chemin de terre poussiéreux, les élèves de l'école de Sandui, petit village à flan de colline rattaché au bourg de  Shazhou, se soucient peu des flash même s'ils aiment jouer avec l'objectif pointé sur eux. Ils ont entre 4 et 12 ans. Le jour du séisme, ils faisaient la sieste dans leur classe. Même si trois minutes, le temps où la terre a tremblé, semblent courts, les professeurs ont été très rapides à sortir les gamins et les regrouper dans la cour de récré. Aucun enfant blessé, 4 morts au village et 90% des  maisons détruites dans cet entité administrative qui s'étend sur plusieurs kilomètres. 

Derrière l'un des trois bâtiments qui a tenu bon à quelques dizaines de tuiles près, le chemin disparaît dans une coulée de terre. Les maisons qui bordaient la cour sont encore aujourd'hui des tas de gravas informes avec ici ou là, les premières marches d'un escalier qui ne fera plus monter personne. La sonnerie résonne. Les enfants courent vers les tables de ping-pong, des morceaux de bétons et quelques briques cassées qui servent de filet. 

Dans les trois algécos grises de 4m sur 5 qui sentent le renfermé, ils récitent leurs cours à l'unisson, grignotent des bonbons à la pause, font la sieste la tête posée sur leurs bureaux bleus. A quelques mètres, leur ancienne classe est à ciel ouvert, la structure de bois du toit éventrée. Ils n'ont rien fait de particulier ce 12 mai, si ce n'est profiter de Chen Ci, un jeune de 28 ans qui a tout abandonné pour passer un an avec eux de puis le séisme. Un volontaire comme tant d'autres qui, après avoir sorti des petits corps des décombres a voulu aider ceux encore en vie. Une volonté peu commune puisque la plupart ne donne que quelques semaines de leur temps. 


Les pieds dans la rivière qui s'étire dans la vallée, les gamins s'amusent avec leur "grand frère" à côté des maisons provisoires construites avec les débris de l'ancienne par leurs parents, les tentes bleues données par les associations d'entraide qui leur servent de foyer et les cabanes faites en paillasse de bambous comme de grands hangars, des cloisons séparant les chambres de 30m2. 

Un peu plus âgés, les lycéens de Wenchuan ont vécu l'horreur il y a un an. Sous leurs yeux, les bâtiments se sont fait recouvrir par la montagne. Pendant trois jours, ils ont été coupés du monde, survivant grâce à l'organisation de leur directrice qui les a emmenés à l'abri des pierres qui continuaient à rouler et du fleuve nourri par les averses qui ont suivi le tremblement de terre. 


Durant un an, une entreprise immobilière les a accueilli dans la banlieue de Chengdu, eux et leur "école" : des magasins ont vidé leurs locaux pour qu'ils servent de salles de classe. En septembre prochain, leur nouveau bâtiment sera inauguré en grandes pompes dans cette ville, à quelques kilomètres de l'épicentre, qui a été presque rayée de la carte. Quand on les interroge sur le traumatisme, sur leur vie d'aujourd'hui qui semble en transition et sur le retour prochain dans une vallée hantée par tant de morts, les réponses -en groupe, en face-à-face, quelque soit l'âge- sont invariables : je ne dois pas penser au passé, j'ai le regard tourné vers l'avenir, mon peuple me regarde et est fier que je sois toujours en vie, je dois maintenant travailler pour le remercier des sacrifices qu'il a fait pour moi. 

Certains ont commémoré cet "anniversaire" en faisant du tourisme. Plusieurs compagnies proposent des tours en bus avec un arrêt autour de Beichuan, ville fantôme aujourd'hui complètement évacuée de ces habitants alors que les constructions -toutes réalisées dans les dix dernières années- se sont effondrées comme un château de carte. Des habitants ont installé de l'eau et différents jus sur une table à la sortie du bus. Cinq yuans la bouteille. Derrière eux, s'étend la plaine recouverte de monticules de briques rouges à terre. Pourquoi être venu voir cela ? Pour montrer leur soutien, répondent les passagers du bus, appareil-photo en bandoulière. Etes-vous embêté par ce tourisme de catastrophe ? C'est normal qu'ils veuillent voir, cela fait tourner nos commerces, expliquent comme une évidence les habitants. De l'autre côté de la vallée pourtant, d'autres Beichuanais ont demandé que les bus passent leur chemin : leur présence rappelaient quotidiennement le tremblement de terre. Comme si le paysage ne suffisait pas. 


Mais finalement qu'est-ce qui est bien et qu'est-ce qui est étonne ? L'histoire du volontaire touche. Les paroles des lycéens sonnent fausses. Les tours organisés sur les débris choquent. Chen Ci a fait un acte de bravoure fort, au prix de la sécurité de sa mère qu'il a laissé seule pendant un an alors qu'elle est sans travail, âgée et divorcée. Les lycéens devraient-ils parler continuellement de leur séisme et regretter jour après jour leur vie "d'avant" alors que la psychologie a été apporté en Chine il y a dix ans seulement ? Les villageois sans toit se sentiraient-ils autant valorisés et soutenus si on les laissait tranquille avec pour seules visites des volontaires d'autres provinces qui ne connaissent ni leur langue ni leur mode de vie ? 

Quelle part de ces attitudes peut être attribuée à la culture de la primauté du groupe sur l'individu dans ce pays ? Quelle part à l'endoctrinement d'un parti unique qui incruste subtilement, chez la plupart des gens, les valeurs de sacrifice pour le nombre et d'obéissance ? Qui suis-je pour juger, gamine de 24 ans, élevée au sein d'une bulle dans un pays où l'on va voir le psy dès que le chat de Junior est mort (1)?

Ps : Souviens toi Jonathan, tome 1 de "Jonathan".

(1) : la France est le pays qui consomme le plus d'heure de psychologues au monde, devant les Etats-Unis.

Le privilège du papillon

A la tombée de la nuit, un groupe de personnes s'affaire devant l'église de Mianzhu. Plus de mur, quelques tuiles du toit s'amoncellent sur le côté, la dalle blanche consacrée est à nu. Une à une, des bougies s'allument dans les mains des catholiques de cette ville d'environ 20 000 habitants. 

Il y a presque un an, la terre tremblait. Et le Sichuan pleurait. Il y a presque un an, ces croyants meurtris étaient déjà là pour prier. Ce lundi 11 mai, les chants de Taizé s'envolent vers le ciel pour célébrer l'espoir et l'avenir car les pratiques de cette communauté née en France sont bien ancrées chez les croyants de Chine. Plus tard dans la soirée, les larmes coulent sur leurs visages pensifs en passant devant les photos de l'exposition organisée par l'Association patriotique catholique de la ville, organe officiel de cette religion. Maisons détruites, gravas et fantômes des corps absents des clichés. 

Le lendemain, jour du séisme, il est interdit de faire la fête. La messe dans l'édifice écroulé rassemble peu de monde, les fidèles des villes voisines comme la métropole de Chengdu pouvaient venir d'eux-même mais rien n'était organisé pour un transport en commun. Pourtant les catholiques n'ont pas cessé de faire pour les victimes, ou de donner, comme l'expliquent les quelques associations caritatives invitées par l'Eglise officielle à faire un bilan de leurs activités depuis le terrible jour. Ils ne comptent d'ailleurs pas s'arrêter puisque des projets de soutien sont encore prévus quand ils ne sont pas déjà en place. 

Tout ceci a beau être basé sur des informations glanées cette semaine, je ne le verrai pas. Ce reportage aurait pû être riche d'histoires, plein de vie d'une église dont je me sens proche même dans ce pays. Il aurait pû refléter des visages, des actions, des initiatives. Il aurait pû faire l'objet de rencontres, d'échanges et de liens. Il aurait pû être intéressant pour les catholiques de France, pour les rares lecteurs du journal de mon école, pour les auditeurs de France Inter. Il aurait pû être positif pour la Chine, pour le gouvernement national et local, pour les catholiques du pays comme ceux de cette ville. Il n'aurait pas changé le monde. Il aurait changé mon monde et peut-être celui des quelques personnes qui seraient tombées dessus par hasard. 

Mais le gouvernement de Mianzhu en a décidé autrement : honk-kongais, taïwanais et étrangers sont interdits dans la ville le 11 et le 12 mai. Les policiers veilleront bien à ce que personne ne vienne "mettre en péril la sécurité des habitants". 

Pas de personnes disponibles, pas d'infos, pas de fil rouge, pas assez de substances, pas d'angle... Des sujets qui n'aboutissent pas, il y en a des milliers par jour. Ce n'est ni mon premier, ni mon dernier. C'est juste la première fois que je touche du doigt la limite des libertés dans ce pays. Que je réalise la fragilité de celle-ci dans le notre. 

Ps : le privilège du serpent, tome 8 de "Jonathan". 

PS 2 : http://cuej.u-strasbg.fr/chine/index_chine.htm

Ecris le 10 mai

L'espace bleu entre les nuages

Baskets aux pieds, pantalon de toile noir, débardeur large et chemise aux manches remontées. Je prends la carte de ma chambre et la fourre au fond d'une poche de côté. En claquant la porte, je pause, dépose mes écouteurs sur la tête, bien calés sur mes cheveux relevés, la brise du soir caressant mon cou. Dans mon sac gris sale, papiers, yuans, appareil-photo, calepin, coca et clopes. Après avoir passé la journée à chercher -en anglais, en français, en chinois, à en perdre son latin- j'avance sans but. 


Il est 21 heures. Dehors la nuit est loin d'être noire. A la sortie de l'hôtel, j'atterris sur une rue à double voies. Des clochettes tintent dans mes oreilles, rapidement rejointes par un beat soutenu et des rappeurs entonnent leur flow. Si j'isole mes oreilles de l'ambiance environnante, c'est pour mieux laisser mes yeux vagabonder autour de moi, saisir les regards, comprendre les gestes, noter les contrastes des lieux, les couleurs et les mouvements. Mes pieds se chargent de me transporter. J'oublie ce que je connais, j'oublie où je vais. Ce n'est pas le plus important. Le trottoir large bleu-gris est parcouru au centre par un chemin de tuiles jaunes dont les motifs se font sentir sous mes semelles. Des karts de vendeuses de rues surgissent à droite, à gauche. Chouchous, froufrous, recharges de téléphones, lacets. A chaque croisement de rue, juste dans le coin, de grandes tables sur roulettes regorgent de brochettes en tous genres qui n'attendent qu'un signe de moi pour finir grillées et épicées par de vieilles dames en échange d'un yuan par stick (moins de 10 centimes). Des hommes et des couples assis sur des tabourets de 20 centimètres de haut, en plastique rose et vert fluo, me dévisagent en souriant. Il m'est impossible de me fondre dans la masse ici. Impossible de me glisser dans leur monde. Impossible de disparaître.  


Il est 21 heures. La plupart des petits magasins sont ouverts. Une dizaine de personnes se fait couper les cheveux dans un salon aux lumières aveuglantes. Derrière une vitre à la propreté douteuse, une jeune fille attend, la bouche ouverte sur une chaise de dentiste, que le praticien raccroche son téléphone pour s'occuper de son cas. Je réprime un frisson dans le dos qui n'a rien à voir avec la qualité de la musique qui déferle de mon casque, passe ma langue sur mes dents aujourd'hui alignées et presse instinctivement le pas. Dans le box suivant, un homme s'allonge sur une table à la vue de tous les passants pendant qu'un bonhomme imposant à la blouse couleur pastel commence à le masser. Dans cette partie de la rue, je marche devant une succession continue de petits hangars qui contiendrait à peine une voiture. Ils exhibent bien des produits : quelques robes courtes sur des cintres, un étalage de cigarettes avec toutes sortes d'alcool dans le fond, deux ordinateurs et trois photocopieuses, des bacs d'épices entourés de paniers de fruits, un congélateur de glaces accompagné de rangées de boissons. 


Il est 21 heures. Je passe sur un pont enjambant un petit cours d'eau, là où l'une des grandes artères du centre-ville rejoint ma petite rue (qui équivaut déjà à une avenue pour n'importe quelle ville française de province). Deux fois plus de voitures, mais surtout deux fois plus de vélos et scooters qui, selon la loi du plus fort, me dominent. Je reste donc sur le trottoir. Les feuilles d'un grand arbre me caressent le visage. Derrière les branches, je distingue la terrasse improvisée d'un boui-boui sur l'autre rive. La cuisine est à mur ouvert. Un cuistot à peine majeur sort dans un nuage de fumée blanche. Il dégaine un portable hight-tech et le range dans sa veste maculée presque immédiatement. Un homme le rejoint. Le jeunot s'assoit et se met torse-nu avant que l'autre lui colle une bulle de verre dans le bas du dos. Puis il se rhabille, attend quelques minutes, l'enlève et retourne travailler. Jeu ? Médecine ? Mes sourcils ont encore du mal à ne pas s'élever rien que d'y penser. Un peu plus loin, les néons d'une boîte me sautent aux yeux. Si les caractères chinois dorés géants ne m'informent pas beaucoup, les photos de deux mètres sur deux mettant en scène de charmantes demoiselles, un verre à la main, avec des occidentaux et orientaux au sourire colgate, me mettent sur la voie. 


Il est 21 heures. Mes pas m'amènent vers une petite ruelle et je quitte la grosse artère. Au bout de trois immeubles, je m'arrête devant une barrière gardée par un vieux monsieur à l'uniforme informe, ce qui signifie propriété privée, bien que je devine quelques mètres plus loin une rue où roulent des voitures. Me rappelant que mon passeport n'est qu'une suite de signes incompréhensibles pour eux, je fais demi-tour. Sous un lampadaire, un groupe de cinquantenaires parient autour d'une table de fortune en jouant aux cartes et en buvant des bières. Je longe une clôture pour éviter une mercedes qui n'a pas l'intention de s'arrêter pour une petite piétonne au milieu de son chemin. A travers des barreaux, j'aperçois un homme qui s'agite, les mains dans le dos. Un reflet met en lumière ses menottes. Me rappelant que mon passeport illisibles pour eux aussi, je continue à avancer, non sans chercher un signe indiquant "police locale". Je trouve bien une grosse plaque pleine d'idéogrammes, mais aussi une pancarte publicitaire qui vante une boisson rafraîchissante. Apparemment ils font ça aussi dans les commissariats chinois... De l'autre côté de la grosse artère, je croise de nouveau un bâtiment attractif aux lumineux clignotants. Sur le pallier de l'entrée, deux garçons de sécurité en chemise blanche et cravate vont et viennent. En jetant un coup d'œil, j'aperçois des rangées de fauteuils devant des ordinateurs. Des paysages de World of Warcraft et autres jeux en ligne défilent sur les écrans. Une petite fille sur les genoux de son père suit une série télévisée dans le fond de l'échoppe miteuse voisine. Sur la route qui me ramène vers mon hôtel, deux chiens de pierre me tirent la langue, entre leurs crocs apparents. Ils sont les gardiens des portes, empêchant les démons d'entrer. Contrairement à ces dieux figés, les passants se retournent sur mon passage, les enfants me fixent avec étonnement. J'achète une glace en mimant ce que je veux après avoir fièrement placé mon vocabulaire chinois, "nihao", "bonjour". Je montre ma main pour savoir combien cela coûte et sort sans oublier de dire "sié sié". Merci. Pour la glace. Pour ces images. Pour ce moment. Pas très anonyme mais évadant. 

PS : même titre, tome 5 de "Jonathan". Ce n'est pas un manque d'inspiration mais bien un choix. Ce billet est exactement ce qu'est un espace bleu entre les nuages dans les planches de Cosey : un trésor, une utopie, un rêve, un instant volé au monde, la dernière sensation que j'aimerai avoir le jour où je les perdrai toutes.

Ecris le 4 mai