dimanche 11 avril 2010

Mange moi

Prélude :
"Assis, une lettre à la main, (...)
J'profite de l'instant la où
Les chemins viennent s'perdre.
Serein d'vant cette lettre dont j'sais
Rien, c'est peut-être tout et n'importe quoi
Mais n'rien savoir laisse
Une touche d'espoir rare à notre endroit. (...)
Cette lettre, une part d'rêve dans ce pâle réel."

Sur les marches qui mènent à une imposante église, là où Elle a rendez-vous, Elle regarde l'enveloppe marron claire cachée dans un petit sac. Un peu plus grande que Sa main, Elle la soupèse. Un livre ? Un petit alors. Minutieusement Elle l'ouvre. L'inscription de l'expéditeur et la mention pour la douane indiquant "cacao" lui avait mis la puce à l'oreille : une tablette de chocolat entourée de deux feuilles de papiers. Elle les met à plat devant Elle. Et son rire résonne sur le parvis. Trempées dans une encre bleue, des pattes de mouches se succèdent à intervalles réguliers. Illisibles, les hiéroglyphes s'enchaînent sans queue ni tête.
Sa première pensée : cet écrivain doit avoir une superbe écriture en arabe... Mais c'est bien du français qui s'étale sous ses yeux amusés. Elle commence déjà à saisir un verbe ici, un adjectif là. Premier carreau entamé. Elle lit, relit, tourne les syllabes dans tous les sens pour les mettre bout à bout. Le deuxième carreau fond dans la bouche. Il Lui semble voir éclore les mots comme une fleur dont les pétales, recroquevillés sur eux-même, s'ouvrent à force d'être scrutés par le soleil. Elle passe de la fin au début, revient au milieu pour identifier les signes qui se ressemblent. Troisième morceaux gobé. Elle note les redondances dans les lignes, les courbes, identifie des habitudes de gaucher. Des "n" qui se noyent dans les "m", les jambes des "j" se confondant avec celles des "p". Quatrième morceaux disparu.
Comme un parchemin secret, les phrases se construisent, certaines plus rapidement que d'autres. La lecture de cette missive devient alors un jeu de piste, une course aux trésors. Avec des pauses gourmandes, pour reprendre des forces. Une phrase qu'Elle aura saisi au premier passage se brouille au second et tout le travail est à refaire. Au bout de deux heures, les trois quart de la tablette se sont envolés. Les mystères de la lettre sont presque tous déchiffrés. Tous ? Non, quelques irréductibles refusent de se laisser aller. Rien n'y fait. Qu'importe, un bout du délice noir et Elle se replonge dans les méandres de l'écriture de son écrivain d'un jour.

A lire en écoutant Comme un aimant

vendredi 2 avril 2010

Des phrases en l'air ?

La petite flamme flanche. Mince, elle va s'éteindre. Non, ça va, elle résiste. Malgré les touristes qui passent en flot continu juste à côté. Elle pose un lumignon et Yolande l'imite. Yolande dans une église, rien que cela, c'est un gag. Il faut vraiment que leur amitié soit forte pour que Yolande aie franchi les grandes portes en bois gravées de centaines de petits saints figés avec Elle. Devant le porte-bougie noir, Yolande regarde à droite, à gauche et propose une prière. Elle ne s'y attendait pas. Un sourire passe sur Ses lèvres. Qui étes-vous et qu'avez-vous fait de mon amie athée et indifférente à ma foi, pense-t-Elle.

Mais Elle saisit la main tendue. "Notre Père, qui étes aux cieux..." Les mots s'enchaînent, à l'unisson, entre les deux jeunes filles qui se connaissent depuis l'enfance. Surtout, ne perdre aucune miette de cet instant, les pauses dans leurs voix, le bruit de fond, le soleil dans les yeux. Surtout, graver dans Sa chair les milliards de détails du moment, les intonations de Yolande, le balancement de Son corps en rythme, le fou-rire réprimé à la fin. Surtout, retenir les mouvements de la fumée qui envahissent l'atmosphère. Chaque syllabe s'enfoncent dans Son esprit. A Ses yeux, prier n'a jamais été lancer des phrases en l'air. Dans Son esprit, prier n'a jamais été s'en remettre à ce mec là-haut. C'est un dialogue, qui a pris tout son sens ce jour-là.