samedi 20 février 2010

Elle l'a tué

Qu'il fait froid dans cette chambre. Fenêtres grandes ouvertes, énième cigarette au bec. Elle tortille la poche retournée de son jogging informe, assise sur le rebord du lit défait. Il s'est assis en face d'elle, sur le fauteuil en plastique rose assorti au mobilier tendance de la pièce. Il regarde le sol jonché de journaux, magazines, vêtements et autres bordels perpétuels.

Elle savait qu'Elle Lui devait la plus grande clarté. Elle savait aussi l'effet que ces quelques mots allaient avoir sur Lui. Elle savait qu'Il n'était pas prêt à les entendre. Elle savait qu'Elle aurait du mal à les faire sortir. Les courants d'air passent sur leurs joues rougies. Elle ouvre la bouche, la referme, avale sa salive, lève les yeux au plafond, jette un regard vers lui, détourne la tête, reprend sa respiration, ouvre à nouveau la bouche... Le silence est insupportable. Les mots ne sont pas mieux. La phrase sort enfin.

Devant Elle, Il reste immobile. Son visage se fige, se crispe, tremble, grimace, se déchire, se noie. Il l'enfouit dans ses mains. Dans une dernière tentative, Il la dévisage, cherchant une alternative au couperet qui vient de tomber. Elle veut hurler, Elle veut changer les faits, Elle veut revenir en arrière, Elle veut ressentir à nouveau, Elle veut le consoler, Elle veut le rassurer, Elle veut l'accompagner, Elle veut le voir partir, Elle veut... Elle s'en veut. Elle l'a tué. Quelques mots ont suffi.

jeudi 11 février 2010

Je te vois

" Parfois je te vois. Tu passes devant mes yeux qui se sont perdus dans le vide. Tel un fantôme indifférent. Puis tu me fixes et je perds tous mes moyens. J'ai un haut le coeur, je déglutis avec difficultés. Mes lèvres font mine de sourire. Avant de retomber aussi vite que mon front se ride. Mes épaules s'affaissent, ma poitrine se serre, enfermant mes organes dans une plainte silencieuse. L'ombre de ta présence disparaît et la réalité me baffe une fois de plus.
Tu restes, après tout ce temps, je ne me l'explique pas. Tu restes, après toute cette distance, je ne le veux pourtant pas. Tu blesses, après tous ceux-là, je n'en reviens pas. "

lundi 8 février 2010

Et la montagne chantera pour toi

Engoncée dans le fauteuil confortable de la première classe du TGV, Elle savoure le paysage qui défile. Des lueurs jaunes et blanches qui passent à toute allure dans une mer noire. Elle expire bruyamment. Une pause au milieu du quotidien, des millions de projets qu'Elle veut mettre en oeuvre, des rencontres, des conversations à multiples entrées, des demandes, des papiers, des obligations, des allers, des retours, des coups. Le reflet de la fenêtre lui renvoie l'image d'un sourire planant sur un visage serein. Consciente que ces dizaines de minutes ne tirent leur valeur que dans leur caractère éphémère, Elle imagine que les rails ne s'arrêtent jamais. Ils filent à travers la nuit et font le tour du monde.

De temps à autres, des bribes de civilisations émergent de la pénombre. Quatre lampadaires révélant un bout de trottoir et quelques voitures. Un café fermé au coin d'un carrefour. Une lumière diffuse dans un appartement sans ombre mobile. Ces coups d'oeil furtifs dans l'intimité tranquille et décorée avec goût des inconnus engendrent instinctivement une pensée : "Ca a l'air si paisible chez eux". Immédiatement suivie d'un rictus teinté de tristesse : "Mais derrière le vernis, les mêmes fêlures que chacun porte en soi".

Déjà le néant reprend ses droits. Jusqu'à ce que des tâches blanches apparaissent sur le parking de la gare traversée en coup de vent. La neige. Bientôt là. Elle lève instinctivement les yeux. Le noir. Interminable. Pas besoin de les voir. Elles sont là. Après avoir veillé sur son enfance, elles accueillent sûrement son retour d'un bruissement d'arbres accrochés à leurs flancs. Beaucoup trouvent que leurs falaises découpent le ciel et l'envahissent, menaçantes et ténébreuses. Elle les a toujours trouvées rassurantes ; des amies qui la guident quand Elle se perd dans un monde trop grand pour Elle ; des repères dans une société qui l'assomme de jugements ; un tableau vivant accroché au bleu de l'infini.


A lire en écoutant "rain" Cunninlynguists

Titre emprunté à "Jonathan", de Cosey.

mercredi 3 février 2010

La mort au bout du stylo

Son nom. Lu et approuvé. Sa signature. Son premier contrat de travail. Elle sourit. L'employée en face d'Elle range les papiers. En sort d'autres. Le petit bureau respire la paperasserie entassée dans les tiroirs qui montent jusqu'au plafond. "Il ne reste plus que l'assurance décès". Elle en perd son stylo. Et ses mots. Bouche bée devant la dame qui lui tend la feuille, comme s'il s'agissait d'un carnet de ticket restaurant.


"Mais prenez le temps de répondre". Il lui en faut un peu pour digérer l'information : alors qu'Elle entre sur le marché du travail, Elle doit penser à sa mort. Elle baffouille quelques mots, tentent de se rattraper avec une phrase convenue. L'employée lève enfin les yeux et réalise que la question n'est peut-être pas aussi "banale" que poser quelques pattes d'oie sur un formulaire administratif.


"Ce n'est pas une décision à prendre à la légère", ajoute la dame. Deux semaines plus tard, Elle n'a toujours pas renvoyé les documents. Elle le sort tous les jours, inscrit sur son agenda de le faire. Et les détails de la vie occupent tout le reste de sa journée. Combien de temps prend-on pour envisager le pire ?