vendredi 28 mai 2010

A ton enterrement, les étoiles parlent

Jacques-Philippe Martin. 22 juin 1925 - 23 mai 2010.

"Le tableau que nous pouvons peindre de toi commence par de grandes mains aux avant-bras noueux. Tes doigts ont toujours eu l'odeur du fusain, la trace de la sanguine et les paumes ouvertes, comme une invitation. Au dessus de ton bureau, nous déchiffrions ton diplôme des Beaux Arts. "C'est vraiment à toi, Papy ?".
Une de tes petites-filles sur les genoux, tu t'attardais longuement sur tes soirées passées dans l'ancien palais des papes, un crayon à la main. La réussite par le travail. Le leitmotiv de notre famille. "Sois attentive à l'école, sinon tu finiras à l'usine de pâtes".

Dans ton atelier, tu nous donnais quartier libre. C'était ton univers que nous découvrions : les pinceaux aux milles formes, la palette de couleurs infinies, les feuilles gribouillées qui volaient dans tous les sens, les paysages du Brésil, des Antilles et autres coins du monde où tu étais allé dessiner des voies de train. Sur les murs, Van Gogh nous regardaient attentivement mettre tout sens dessus dessous.

Un joyeux bazard que nous apportions aussi dans ce chalet de Haute-Savoie où tu subissais nos caprices tous les étés. Les plans sont nés de ton esprit, les planches ont été posées à la force de tes bras. Un roc d'amour, le Roc'amour. Pour la sieste, nous nous blottissions contre ton grand corps, affalés sur le canapé devant la vieille télé à quatre chaînes. Des nombreux soirées de nouvel an passées ensemble, il ne nous reste qu'un goût de chocolat sur le palais. Et l'impression d'avoir évité quelques crises de foie grâce à ta vigilance. La petite lampe allumée dans l'obscurité de la nuit, aussi, et ta main sur notre épaule.

Celle-là même qui agrippait le bras de tes visiteurs la semaine dernière. Un sourire malicieux aux lèvres, tu chuchotais alors "Tu es fort, tu m'emmènes, on ne dit rien à personne et on fait le mur. Si quelqu'un nous cherche, on dira que j'ai été enlevé par mes enfants". Aujourd'hui, tu es enlevé à nous mais tu n'es pas parti. Tu es allé t'asseoir sur un trône dans le ciel. Nous te trouverons toujours dans la voûte céleste. Nous, sept étoiles et un astre filant, comme les quatre petites étoiles qui suivent et les trois à venir, nous sommes à tes côtés. Protégées à jamais."

dimanche 23 mai 2010

Pour que traces de toi il reste, indélébiles

Ecris en écoutant Quand on n'a que l'amour, de Jacques Brel

J'avais prévu un beau hiatus, un énorme cri de révolte à coup de "Tu fais chier Dieu" et autres invectives que j'aime à Lui envoyer quand la réalité ne me plaît pas. Et puis, la vague de rébellion n'est pas venue. Les larmes sont montées, mais seulement la joie des instants passés m'a submergée. J'avais prévu une plume bien trempée, un dialogue enflammé à coup de "Tu fais chier Dieu" et autres plaintes sourdes que je Lui adresse quand ses choix me déplaisent. Et puis, les soubresauts de mon corps n'ont pas eu ce goût amer de défaite. Les spasmes n'ont pas cessé, mais mon coeur a sursauté devant les souvenirs qui m'ont envahie.
Doucement, une odeur de bonbons cachés dans un placard en bois m'a pris le nez. Naturellement, un rayon de soleil venu du sud qui perce sur une terrasse marseillaise m'a caressé le visage. Simplement, son sourire est apparu et son histoire s'est formée au bout de mes doigts. Je n'ai pas besoin de lui dire au revoir, il n'est pas parti bien loin. Je n'ai pas besoin de lui crier mes regrets, je n'en ai pas. Je n'ai pas besoin de chercher de fil rouge à ce portrait incomplet, il coule dans mes veines.


Je ne sais pas si je te connaissais si bien que cela. Je serai bien incapable de faire ta biographie en dix dates et trois moments clefs. Le tableau que je peux peindre de toi commence par de grandes mains aux avant-bras noueux. Ils se sont formés dans les champs d'Avignon, à ramasser les patates, retourner la terre, et tenir fermement les rênes d'un cheval pour rendre visite à la demoiselle du village voisin qui a partagé un demi-siècle avec toi. Tes doigts gardaient les traces de la corne, venue quand tu posais des rails de chemin de fer. Une de tes sept petites-filles sur les genoux, tu passais rapidement sur cette période mais t'attardais longuement sur les Beaux-Arts. Dans l'ancien palais des papes, je te devinais, restant tard, un crayon à la main, les cheveux n'ayant pas encore virés au blanc argenté. La réussite par le travail. Le leitmotiv de notre famille. "Sois attentive à l'école, sinon tu finiras à l'usine de pâtes".
Dans ton atelier, tu nous donnais quartier libre. C'était ton univers que nous découvrions : les pinceaux aux milles formes, la palette de couleurs infinies, les feuilles gribouillées qui volaient dans tous les sens, les paysages du Brésil, des Antilles et autres coins du monde où tu étais allé dessiner des voies de train. Sur les murs, Van Gogh nous faisait un clin d'oeil, les fleurs impressionnistes nous emmenaient en balade, les femmes de Gauguin nous regardaient attentivement mettre tout sens dessus dessous.
Un joyeux bordel que nous apportions aussi dans ce chalet de Haute-Savoie où tu subissais nos caprices tous les étés. Les plans sont nés de ton esprit, les planches ont été posées à la force de tes bras. Un roc d'amour, le Roc'amour. A flanc de montagne, tu prenais soin de ton jardin que nous saccagions années après années. Dans la petite chambre, à côté du studio où tu dormais avec Mamy, tu n'oubliais jamais de brancher la petite lumière rouge qui veillait sur notre sommeil. A l'étage, pour la sieste, nous nous blottissions contre ton grand corps, affalés sur le canapé devant la vieille télé à quatre chaînes et sans télécommande. Des nombreux soirées de nouvel an passées ensemble, délaissés par nos fêtards de parents, il ne me reste qu'un goût de chocolat sur le palais. Et l'impression d'avoir évité quelques crises de foie grâce à ta vigilance. La petite lampe allumée dans l'obscurité de la nuit, aussi, et ta main sur mon épaule. Celle-là même que je serrai fort pour que tu ne glisses pas sur les plaques de verglas en allant à la messe, le soir de Noël. "Ce curé noir me rappelle les gens que j'ai rencontrés quand j'étais en Afrique", m'avais-tu chuchoté une fois, en plein office.

Je ne sais pas ce que tu aimais, la musique que tu écoutais, le parti pour lequel tu votais, le syndicat qui t'a amené à manifester, ta couleur préférée ou même ton signe astrologique. Je serai bien incapable de deviner tes réponses au questionnaire de Proust. Le croquis que je peux esquisser de toi passe forcement par le bleu de tes yeux. De la même couleur que celle de l'équipe de foot de ton cœur. Tu t'es bien gardé de me parler ballon rond, Dieu merci, mais ton regard s'allumait quand nous discutions ovalie. La Coupe du monde, de passage au stade vélodrome, m'a donné bien plus qu'un plaisir de fan de rugby.
Je te revois sur le pallier, chemise propre et bouteille d'eau de Cologne vidée sur ta nuque. Tu tenais déjà mal sur tes cannes mais le trajet en bus et tram ne t'effrayait pas. Ton escorte te protégeait. Impossible de me rappeler le score de ce All Black-Italie. Mais je me revois courir pour t'acheter deux bouteilles d'eau, remettre ta casquette ringarde sur ton crâne déjà rougi et guetter ton sourire dans la olà. Pendant le retour, je m'agrippais à toi fermement, terrifiée qu'un mouvement de foule ne te renverse, prête à castagner pour te frayer un chemin.
En arrivant, le dîner nous attendait sur la table. Tu t'es installé, comme avant chaque repas de famille, une fourchette à la main et une gousse d'ail dans l'autre. Un peu de sel, beaucoup de poivre et ton huile d'olive maison. "Le secret, c'est de bien écraser les morceaux pour qu'ils libèrent leur arôme". La sauce salade, seule plâa que je suis sûre de ne jamais râter, seule leçon de cuisine que j'ai jamais respectée. Tu lâchais des bribes en provençal de temps en temps. Des gros mots pour la plupart, dans mon souvenir. Dialecte inconnu à nos oreilles, mais à la sonorité chantante qui m'émerveillait.

Peu de citations de toi, finalement, dans ce portrait improvisé. Comme si ta voix n'avait jamais été le plus important (mais bien sûr que je t'écoutais !). Ce n'est pas ce que tu disais de la vie qui doit rester, mais la manière dont tu l'as menée. Tous les ans, le 12 juin, c'était la même rengaine. "Tu sais, quand tu es née, j'étais au Mozambique. Je me rappellerai toujours du préposé au télégramme qui courre vers moi. Monsieur Martin, Monsieur Martin, vous avez une petite fille ! Comme j'étais heureux... On a sorti les verres et on a trinqué". Vingt-cinq années après, cette anecdote qui résonne encore dans mes tympans est ce qui va manquer le plus.

samedi 22 mai 2010

M'étendre sur l'asphalte et me laisser vomir


J'ai le teint terne et les yeux qui cernent. Un peu de Nutella dans l'haleine et un hâle de haine au fond de la gorge. Si je ne devais pas travailler, je ne me lèverais pas. Si je ne devais pas vous appeler, je ne parlerais pas. Les cheveux en bataille, la tête en chantier, un marteau-piqueur dans les tempes et un rictus las au coin des joues. Si je pouvais, je dormirais. Si je voulais, je me réveillerais.
Mais je ne veux pas. Votre monde qui tombe en lambeau ne m'habille pas d'or et de lumière. Les guenilles que vous m'avez laissées attaquent ma peau et ma volonté. Vos querelles de grands hommes et d'étroits esprits tuent mes neurones à petit feu. Je ne prendrai pas les armes, elles font aussi mal que vos discours.

Vos grands mots sont les maux de mes nuits et de mes jours. Tour à tour, ils me tombent dessus comme des coups de massue. Mes mains ne me protègent plus de vos assauts. Mes paumes sont constamment attaquées par la virulence de votre venin. Insidieusement, il se faufile dans mes pores, brûle mon énergie et me laisse gisante sur le macadam. Votre verve vaniteuse n'y changera rien, vous avez échoué et vous vous gaussez que l'on doive reprendre votre flambeau éteint. Après votre passage, même l'herbe sous mes pieds pue le cramé.

Lui, là-haut, nous regarde avec attention, comme un curieux devant un troupeau de têtards gesticulant dans la vase. Lui, là-haut, a les yeux rivés sur nous et des rivières de larmes nous tombent sur le coin de la gueule. Cette existence tue. Je sauterai volontiers dans un trou noir. Une autre dimension. Une réalité alternative.


C'est réducteur ? Je sais, des morceaux de positif se baladent ça et là dans ce monde flétri. Pour l'instant, mes cils inférieurs et supérieurs sont englués les uns aux autres. Un jour, je serai avenante et souriante. Mais pas demain. Demain, je prie pour que mon sang meure.


Ecris en écoutant "Les vieux", Jacques Brel
Photo de _Fü_'s (Flickr)

lundi 17 mai 2010

Allo Dieu ? Je suis pas d'accord !

- Allo Dieu.
- Oui ?
- En fait, non, je ne suis pas d'accord !
- Tiens donc ?
- Je sais, c'est toi qui décide, tu sais mieux que moi, mieux que nous. Je sais, je ne suis pas grand chose, je ne devrais même pas t'apostropher comme ça.
- Quoi que je dise, tu ne t'en prives pas alors autant que cela serve.
- Je sais, il y a d'autres sujets sur lesquels je devrais m'énerver contre toi, la faim dans le monde, la connerie humaine, la guerre, les maladies et finalement, il n'est qu'un seul être en fin de vie.
- Je suis en toutes petites choses alors je suis là aussi en lui.
- Je sais, il n'y a rien d'extraordinaire à avoir un grand-père malade, je n'ai pas de regret, ce n'est pas comme si nous étions dans le besoin ou la détresse. Ce n'est pas comme si ces derniers instants ne révélaient pas des trésors de partage.
- Vas-y, demande, arrête de tourner autour du pot.
- Je ne veux pas qu'il parte. C'est assez simple finalement. Tu ne peux pas faire un effort ?
- Que crois-tu que je puisse faire ?
- Un tour de passe-passe. Réparer son cœur, ce n'est qu'un ou deux tuyaux à fixer. De la bête plomberie. Vider ses poumons de l'eau qui monte, ce n'est pas comme si tu ne maîtrisais pas cet élément. T'as déjà jouer avec. Le reste, ce sont des broutilles, un peu d'huile dans les articulations, histoire qu'il soulève son pinceau à nouveau, qu'il marche de la télé à la cuisine.
- Cent balles et un mars aussi ?
- Non, les mars, j'essaie d'arrêter, et on est passé à l'euro. Tu suis pas trop de là-haut.
- Ça serait un peu suspect, un miracle ?
- Comme si ça t'avait retenu dans le passé. Fais pas l'innocent. T'as juste à retenir la petite colombe de l'Esprit Saint dans tes mains quand il demandera le sacrement des malades ce soir.
- Tu crois vraiment que c'est une solution ?
- Non, je sais que ça ne l'est pas. Je sais aussi que s'il a demandé une dernière bénédiction, c'est qu'il en a besoin... qu'il sait que c'est la fin. Mais aujourd'hui, je préfère t'engueuler, c'est plus simple. Une querelle de Père à fille en somme.

dimanche 16 mai 2010

Suspendue aux battements de ton cœur



85. Autour de son lit, des barres de fer l'empêchent de tomber. Dans sa main droite, la télécommande pour appeler l'infirmière. Juste à côté de celle pour ajuster l'inclinaison de son lit. A portée de sa main gauche, un verre d'eau. Parfaitement positionné après avoir embêté l'aide soignante pendant dix minutes.
93. Il remonte le drap, demande que l'on remette la couverture en place, peste contre la barrière qui l'empêche d'étendre ses jambes. Sa peau est presque translucide, ses yeux bleus vitreux, mais sa bouche affiche un doux sourire discret.
81. Elle essaie de ne pas détourner le regard. Le voir ainsi harnaché aux tuyaux, si faible, la touche plus qu'Elle ne le voudrait. Ce n'est pas comme si c'était anormal. Le cycle de la vie, le cours des choses, la banalité de la normalité. Du blabla de diarrhée verbale que l'on débine pour rassurer.
82. Elle lui prend la main, raconte deux anecdotes de Sa semaine, s'étend sur Ses projets. Grandioses bien sûr. Tout comme ceux qui ont jalonné la vie du vieux monsieur allongé devant Elle. Il La fixe, humecte ses lèvres et redit sa fierté de laisser sur Terre un trésor si précieux, la famille.
76. Sa sœur glisse une feuille entre les doigts du grand-père. Un dessin, comme quand elles étaient petites et qu'il fallait faire des cadeaux de Noël. C'était plus personnel que récupérer les boulons du garage, une idée qui paraissait originale à l'époque mais a eu moins de succès que les œuvres d'art colorées.
79. Il voudrait qu'on accroche le dessin au mur. Elle attrape le rouleaux d'adhésif qui a servi à scotcher la perf' à son bras quelques heures plus tôt. Plus à droite. Non, plus à gauche sinon il ne peut pas le voir. Son cou bouge de quelques centimètres à peine. Ses bras restent immobiles. Son purgatoire, dit-il. Pourquoi n'est-il pas encore parti ? interroge-t-il ses visiteuses. Il n'aurait pas pu voir le dessin, répond du tac au tac sa fille, faisant sourire les autres. L'humour est leur seule arme. Elles la manient toutes avec dextérité.
74. Elle se rapproche pour l'embrasser sur le front. Ses sœurs et sa mère l'imitent, lui rappellent leur prochaine visite. Sous peu, c'est sûr, en fonction des agendas. Il se plaint encore d'une dizaine de détails à changer dans sa position.
En passant la porte, Elle jette un coup d'œil vers lui : 70 battements de cœur par minute selon la machine.

Photos : Tous droits réservés

dimanche 9 mai 2010

Peindre tes derniers souffles

Le portail est blanc. Moderne. Avant, il était rouge. Marron tendance rouillé dans son souvenir. Avec des notes de musique sur une portée en fer forgé. Kitsch. Rassurant. Elle s'arrête au milieu de la grande terrasse, qui paraît aujourd'hui moins large que dans sa mémoire. Dans le coin ombragé, les lianes fines s'accrochent aux barres de fer, comme des serpents entortillés au dessus de sa tête. Elle n'a jamais retenu le nom de cette plante.
Elle jette un œil vers la porte du garage et son estomac fait un petit sursaut. A côté de la voiture, derrière la porte, Elle devine le congélateur format familial regorgeant de trésors sucrés dont Elle se gavait sans restriction du haut de ses trois pommes et de ses quelques kilos déjà en trop. Elle tourne la tête, dévale les trois marches qui mènent au jardin, croise le palmier qui est maintenant plus grand qu'Elle, ignore l'abricotier et les escargots à ses pieds pour contourner la maison. Le bois grince quand Elle pousse la petite planche repeinte maintes fois qui donne sur l'atelier.
Des vis, trois balles de ping-pong, des bouteilles de vin, quelques pinceaux, des feuilles, une étagère pleine de pots de confitures, onze marteaux, un sécateur, des chaussures en plastiques... un joyeux bordel qui s'est déversé au fils des ans sans tarir. L'odeur de peinture, mélangée à l'huile, lui caresse les narines. Elle hésite à pénétrer dans l'antre, comme si Elle n'était pas sûre d'être encore invitée maintenant que le propriétaire n'y descend plus.
Les couleurs qui s'étalent sur les toiles accrochées aux murs lui sautent aux yeux. Un coup de pattes inspiré par les impressionnistes. Les carreaux opaques obstrués par des années de poussières donnent une lumière tamisée à la pièce. Elle effleure la vieille photo en noir et blanc d'une jeune fille aux cheveux relevés et au regard pensif. Cliché old school. A la pointe de la technologie à l'époque. Deux fauteuils de velours vert, au ton vase d'étang, regardent le petit bureau pour enfant. Deux imposants fauteuils. Un drame perpétuel à chaque vacance des trois petites-filles.

Le chevalet n'a pas bougé. Elle commence à voir flou, passe son bras sur ses yeux mouillés. Des tâches de maquillage macule sa manche, comme les traces de peinture sur ses vêtements à lui dans le temps. Il n'a pas lavé son pinceau préféré, des paquets de peintures jaune, carmin, indigo attendent le retour de l'artiste. Des crayons de couleurs sont tombés sur le petit tapis effilé.

Elle installe son ordinateur en face d'un buste de terre cuite. Son autoportrait à lui. Quand il avait des cheveux. Quand il pouvait lever les bras. Quand il faisait naître de ses mains des oeuvres d'art. Et Elle tape frénétiquement les mots. Les uns après les autres. Suspendue au rythme des bips d'une machine, pas si loin, dans une chambre aux murs blancs et à l'ambiance froide. Et à la cadence de sa respiration à lui. Toujours là. Qui s'espace.

jeudi 6 mai 2010

Bouts de ma coquille émaillée sur le sol

Emotive je suis, je le sais. Pudiquement, je dis "sensible". Je ne vais quand même pas jusqu'à pleurer sur l'actualité : pour toutes les emmerdes que le monde m'envoie à la figure, j'ai toujours vu une étincelle naître ailleurs, ou après. Optimiste je suis, je le sais. Et je crois sincèrement qu'on peut seulement aller vers une amélioration. Etant donné le travail monstrueux qu'il reste pour faire de cette Terre un "paradis". Naïve je suis, je le sais. Les nouvelles de ce monde sont pourtant exaltantes. Tant de choses se passent à chaque minute que l'actualité en intraveineuse est une drogue-dure douce à mon existence. Emportée je suis, je le sais. Mais certains coups de poing du monde font saigner. A hurler à la gueule de ce monde. Comme en lisant un certain article il y a quelques temps sur des "infiltrés" dans les confessionnaux de Lyon, qui m'a encore placé devant cette schizophrénie que je ne maîtrise pas encore, scribouillarde dans mes tripes et croyante dans mon cœur. Cette dichotomie que je veux maintenir car elle est mon salut : l'un et l'autre sont liés mais n'ont pas de rapport de causalité entre eux ; l'un et l'autre se nourrissent ensemble de mes rencontres ; l'un est mon métier, l'autre mon intimité.

Pétrifiée j'étais donc, en imaginant un journaliste devant un prêtre qui croyait avoir affaire à un fidèle, dans le secret du confessionnal. Jusqu'où peut-on aller ? Journaliste je suis, et fière de l'être. Mon métier est de décrypter les événements, de révéler le dessous des cartes et les sous-titres des citations. Mettre l'information à nue ne suffit pas, si le lecteur ne saisit pas comment les vêtements ont été enlevés. Horrifiée je suis, dans ma raison. Parce qu'entrer dans un confessionnal comme on entre dans un café dénote, à mes yeux, un irrespect envers son interlocuteur. Une broutille pour certains, sauf que sans cette marque de respect, tous les prochains ont raison d'être méfiant. Un détail sur lequel repose entièrement la profession que j'exerce.


Humiliée je suis, dans mon cœur. Car je crois profondément en Dieu. Je suis catholique, même si je ne suis pas la plus assidue à pratiquer les sacrements. De toute ma vie, je ne me suis confessée qu'une seule fois. Parce qu'on ne va pas à confesse comme on va faire ses courses. Le sacrement de réconciliation m'oblige à me remettre en question. Pas vis-à-vis de Dieu tout seul, mais envers les gens que je croise. Ceux pour qui j'ai de la haine quand je devrais laisser couler, ceux que j'ai emmerdé quand j'aurai dû ignorer, ceux que j'ai blessé quand j'aurai dû chercher à comprendre.


Blessée je suis, tout connement. Ce sacrement représente quelque chose pour moi. Tu n'y crois pas, je m'en fous et je n'ai pas l'intention de te faire changer d'avis. Tu ne comprends pas, je m'en tape et je ne te l'expliquerai que si tu me poses des questions. Je ne viendrai pas te chercher pour te vendre la soupe qui me rassasie. Tu n'aimes pas mon pape, c'est ton problème. Je n'aime pas le café et je n'entends pas renverser ta tasse sous tes yeux pour te le faire comprendre. Tu n'aimes pas les prêtres, arrange toi avec eux.

Une je suis, sur environ 6,8 milliards de personnes dans le monde. Insignifiante. Mais je mérite un minimum de respect. Je mérite que tu te rappelles ces valeurs que tu veux dénoncer, ces principes humains que tu hurles au dessus de tout et que tu bafoues sans sourciller. Pour une information... qui s'obtient simplement, en mettant en confiance l'interlocuteur pour qu'ils se livrent. Parce que ça, c'est mon métier.

Ecris en écoutant Zaz, "je veux".