dimanche 26 juillet 2009

Celui qui mène les fleuves à la foi


Les informations pleuvent et il est de plus en plus difficile de les assimiler toutes à la fois. Je suppose que cela s'appelle, aussi, grandir. 

La situation des catholiques ici a l'air très claire vue de France : d'un côté les gentils, ceux qui continuent à promettre allégeance au Pape, les clandestins ; de l'autre, les méchants, ceux qui s'inclinent devant l'Association patriotique catholique, qui embrasse les positions officielles du gouvernement et fait tant de persécutions. Pourtant, sur le terrain, tout est beaucoup plus flou (certes, c'est souvent le cas). 

A Chengdu, j'ai rencontré le père San*. Chinois, la trentaine, parlant l'anglais plus ou moins bien et habitué aux voyages en Europe, il appartient à l'église "officielle". Quand il rentre dans sa province, où il n'y a pas de bureau de l'Association catholique patriotique, il passe "de l'autre côté". Il a été élevé dans la foi de Jésus-Christ quand ce n'était pas une bonne période pour être catholique en Chine. Ses grands-parents ont d'ailleurs passé quelques années en prison pour cela, il y a longtemps maintenant. 

Ronda*, jeune européenne, travaille avec lui. Depuis trois semaines qu'elle essaie de monter des opérations pour aider les villageois qui ont tout, ou presque, perdu pendant le tremblement de terre, elle est souvent étonnée du mode de fonctionnement chinois. Tout s'achète, tout le monde a un prix, un mensonge simple est plus salutaire qu'une vérité compliquée, discrétion et secret valent mieux que transparence. 

C'est ce que nous découvrons aussi sur le terrain. Mes collègues qui sont à la périphérie du district de Chengdu, dans les villes de Dujiangyan et Pengzhou rencontrent moins de facilités que nous autres dans la grande ville. Quand nos étudiants chinois parlent un très bon français, leurs traducteurs disposent d'un anglais approximatif. Quand nos petits associés cherchent et insistent pour nous obtenir des rendez-vous, les leur ont tendance à suivre le programme officiel décidé par le gouvernement local. Quand nous discutons dalaï-lama et droit de la presse (avec précaution pour ne pas leur paraître arrogants), les jeunes encartés de l'université sensés traduire leurs échanges avec les villageois censurent et refusent parfois de faire le lien, jugeant l'information "non diffusable". Des exemples qui montrent une fois de plus la diversité des cas et surtout des personnes et mentalités dans ce pays à taille de continent. Autorisations, changements de planning, le travail va doucement car il ne faut pas être pressé, au risque de brusquer les choses et perdre toute chance de contact.

PS: Celui qui mène les fleuves à la mer, tome 12 de "Jonathan", à mes yeux le meilleur. Se lit très bien sans avoir les précédents. 

* Les noms ont été changés.

Ecris le 2 mai. 


Et les temples chanteront pour toi


L'immersion a commencé et les heures de sommeil se rétrécissent à vue d'oreiller. Mais le jeu en vaut la chandelle. Dans ce pays mythique, le mystique prend toute sa puissance. 


Mon tour des lieux de culte a débuté par la cathédrale de Chengdu. Contrairement à l'image que l'on a d'une cathédrale, cette église aux colonnes de béton et aux murs beiges fait plus penser à une construction moderne qu'à un lieu vieux de 120 ans. Construite par les Missions étrangères de Paris, elle ressemble à l'Eglise officielle de Chine, un peu fausse mais pleine de croyants de bonne volonté. Si la messe répond aux mêmes codes que les nôtres, la bénédiction est sensiblement expédiée bien que l'"Alleluha" semble international. 

La mosquée de Chengdu n'a rien à envié aux temples bouddhistes. Toits en pointe avec des fenêtres style arabe, des dragons taillés sur les murs avec des mosaïques à la turque au sol, des jardins au milieu des cours à colonnes enroulées. Il est quand même surprenant pour mes yeux d'occidentale de voir de vieilles chinoises portant le voile et de vieux chinois en vêtement traditionnel musulman. 

Le temple taoïste est payant mais c'est sûrement pour la bonne cause. Visité sous la pluie, chaque petite pagode qui accueille une statue d'un dieu ou d'un bouddha aux couleurs flamboyantes et au regard transperçant semble naître de la brume. Lao Tseu a dit "tu dois trouver la voie". Heureusement ici, personne ne nous coupe la tête si l'on se perd dans les innombrables allées. 


Le temple protestant reste très classique, tellement qu'il dénote du reste de l'architecture du quartier. Les grosses pierres marronâtres accueillent une grande salle de prière avec d'énormes idéogrammes chinois au dessus du choeur.

 

Vous allez me dire : et les croyants dans tout ça ? Où sont-ils ? Qui sont-ils ? Comment sont-ils ? Ils sont chinois, ressemblent à des chinois, et se fondent dans la masse car, comme nous l'a expliqué notre étudiante chinoise, "la religion est un sujet sensible ici..." Quant aux actions des religions pour les zones sinitrées par le séisme l'an dernier, s'ils continuent tous plus ou moins à faire des choses pour les survivants, très peu de célébrations avec eux sont prévus pour les commémorations le 12 mai prochain. On pourrait penser qu'une présence, qu'une prière ensemble serait un minimum... Pas ici. Sans compter que, à presque deux semaines de l'événement, toutes les commémorations prévues sont encore à l'étude sur le bureau de l'office des religions, aka le Parti. 

PS : Et la montagne chantera pour toi, tome 2 de "Jonathan".

Ecris le 29 avril.

Pieds nus sur l'asphalte


En Chine, les choses vont vite. Les voitures et vélos ne freinent que pour les feux rouges, ils s'évitent le reste du temps en zigzagant entre les quatre voies des routes. Les heures passent à 200 à l'heure quand on cherche à tout voir -les bâtiments modernes aux néons géants qui côtoient un labyrinthe de ruelles bondées de garages/magasins- et tout sentir, surtout -bien qu'il est plus agréable de se faire caresser le nez par les effluves des cuisines de rues que par celles des pots d'échappement. Le travail enfin, car après deux tout petits jours de mise en bouche touristique, nous voilà déjà la tête dans le guidon, en quête de sujets et autres contacts aux yeux bridés. 

Côté tourisme, je ne me sens pas encore rassasiée mais ce pays est tellement plus grand que tout ce que l'on connaît (et j'ai arpenté les villes américaines plus d'une fois). Chengdu fait modestement 25 millions d'habitants et vue de France, c'est une petite ville perdue au milieu de la Chine. Hier, d'après le plan, nous avions seulement à faire une petite demi-heure de marche pour aller boire une bière locale dans un bar recommandé par nos étudiants chinois. Au bout d'une heure de marche le long d'une avenue plus large que les Champs Elysées d'où l'on voyait l'horizon se perdre dans un brouillard de pollution, il nous a semblé être au bout du monde. 

Un peu plus tôt dans l'après-midi, nous avions rencontré nos étudiants chinois. Après le mot de bienvenue et les ronds de jambe classique, nous avons eu droit à une petite litanie du Parti : "En Chine, même les pauvres sont riches. Oubliez vos stéréotypes et apprenez à comprendre que le chinois est votre ami. Concentrez vous sur le positif dans vos recherches autour de la reconstruction après le seisme car de grandes choses ont été faites." Nous avons bien évidemment ravalé nos grincements de dents. En un sens, il n'avait pas (toujours) tord, lors de nos recherches aujourd'hui nous avons effectivement trouvé que beaucoup de choses ont été faites depuis le tremblement de terre. Ils ont même commencé à organiser des tours pour touristes afin de visiter les ruines des écoles et des hôpitaux ! Alors que certains parents n'ont pas pu accomplir de cérémonies de deuil dans ces mêmes endroits... 

PS : Pieds nus sur les rhododendros, tome 3 de "Jonathan". Je cherche à chaque coin de rues, les traits de ce héros de mon enfance sur les visages des passants et les expressions de la petite Drolma sur les visages de chaque enfant. 

Ecris le 27 avril. 

samedi 25 juillet 2009

Le berceau du Sichuan 


En sortant de l'aéroport, la première impression est que l'on arrive dans une ville occidentale des années 80, sauf qu'il n'y a pas un occidental à la ronde. Notre petit hotel (marque Ibis très probablement) n'est ni un repère à cafard ni un taudis aux odeurs nauséabondes, ce qui n'était pas gagné. Pour notre première après-midi, dix minutes après être sortis de l'hôtel, nous avons déjà réussi à finir fichés par les militaires chinois. Un de mes camarades a voulu prendre en photo un superbe bâtiment de l'armée. Malheureusement les énormes panneaux rouges qui en barraient l'accès énonçaient clairement -en chinois- que toute photo était interdite. Heureusement que l'un d'entre nous baragouine quelques mots du dialecte local car l'officier supérieur n'a pas du tout aimé que nos passeports soient restés à l'hôtel. Au bout d'une heure, après nous avoir pris cinq fois en photo, ils nous ont laissés partir grâce à l'intervention d'un de nos professeurs. 


Le ventre vide, nous avons donc crapahuté dans les ruelles piétonnes de la ville pour nous installer sur des chaises en plastique avant qu'un "cuistot" nous dépose un bol de soupe aux nouilles arômatisées avec je ne veux pas savoir quoi et des morceaux de viandes bouillis. Pour mon premier repas chinois, j'ai réussi à manger la moitié du plat avec de commencer à ne plus sentir ma bouche et que mon estomac -surtout la douleur de celui-ci- ne se réveille.  


Fidèle à mes convictions, j'ai entraîné notre petite troupe vers le temple bouddhiste le plus proche. Le monastère Wenshu est l'un des plus anciens de la ville et surtout, c'est un des quatre temples réputés mondialement pour la branche zen (prononcez tchan) de cette religion. Une multitude de cours, un grand jardin aux chemins de 

pierres, une dizaine de bâtisses en bois peint de rouge, des toits en ardoises arborant de fiers dragons figés depuis 1500 ans... Une ambiance paisible au coeur d'une ville qui vit à mille à l'heure. 


Demain, nous rencontrons nos "binomes" et attaquons le travail de notre magazine, en espérant que l'on aura quelques jours de libre pour aller voir "le grand bouddha", haut de 78 mètres et situé à deux heures de route de Chengdu. 

PS: Le berceau du bodhisattva, tome 4 de "Jonathan". 

Ecris le 24 avril, le lendemain de notre arrivée. 

La saveur du départ

Dans quelques heures, le soleil se lèvera à l'autre bout de la terre et je serai là-bas pour le saluer. Je lui dirai "Nihao" sur le tarmac de l'aéroport de Chengdu, petite ville du Sichuan. Dans cette province chinoise à peine plus grande que la France, aux frontières des "Longmen Chan", les montagnes tibétaines, une poignée d'étudiants chinois nous accueillera, moi et mes camarades de classe pour un mois de reportage. Un an après le tremblement de terre qui a secoué cette région, et tout l'empire du milieu avec, nous verrons comment la population se reconstruit tout en essayant d'évaluer comment elle survit face à la crise. Mais surtout, nous tenterons tant bien que mal de découvrir les chinois et cette culture asiatique aux antipodes de la notre.

PS : La saveur du Songrong, tome 13 de "Jonathan". 

Ecris le 22 avril, quelques heures avant l'embarquement

Il y a trois mois maintenant, je partais un mois en Chine. Une quarantaine de pré-journalistes et moi avons arpenté les rues de Chengdu et de Shanghai. 
Sous le libellé "Une vie chinoise", vous trouverez les différentes pages d'un carnet de bord virtuel élaboré au fil du voyage.
Les titres sont adaptés d'un BD du dessinateur Cosey, "Jonathan".