A chaque fois, Elle se sent comme un soldat qui va affronter son pire adversaire : Elle-même. En foulant la pelouse, la brise lui donne la chair de poule. Sa mâchoire se crispe, son sourire ne veut pourtant pas partir. Le monde pourrait s'écrouler, tant que sa mêlée tient, peu importe. La terre pourrait cesser de tourner, tant que sa course ne dévie pas, Elle s'en fout. La société pourrait perdre pied, tant qu'Elle reste sur les siens, ça ne la touche pas.
Cachée derrière son uniforme, rien ne l'arrête : ni les coudes qui lui labourent le bide, ni les griffes qui lui arrachent la peau, ni les genoux qui raclent ses tibias. Elle puise, dans ces quelques bouts de tissus, la force de ne pas faire marcher arrière avant de s'élancer, le courage de ne pas freiner devant une collègue de jeu.
Au coup de sifflet, en fin de soirée, Elle crache le bout de plastique qui recouvrait sa dentition parfaitement alignée. Ses lèvres s'étirent plus vite que ses muscles. Le calme l'envahit et Elle voudrait rester allongée sur le terrain de longues heures, à savourer.
Dans le métro qui la ramène chez Elle, Elle pense, en regardant son voisin : "Tu te crois beau dans ton costume trois pièces, l'œil fier et la moue dédaigneuse devant mon air de gueuse, toute poisseuse. Si tu savais ce que tu rates, coincé dans tes quatre épingles. Je suis allée jusqu'au bout de mes ressources physiques, j'ai affronté la douleur et j'en suis sortie victorieuse. Une fois de plus. Debout. Une foi en plus."