mardi 29 juin 2010

Comme un oiseau sans voix


Ça commence généralement par "Je veux", "Donne moi", "J'aimerai" ; souvent des suppliques. Parfois, une demande de pardon ou un remerciement.


Prostrée, les mots ne se forment pas dans ta tête. Les yeux dans le vague, tu as l’impression de ne pas bouger depuis une éternité. Tous tes muscles tremblent pourtant. Tes épaules frissonnent, ton menton se contracte, ton poing se serre. Tu aimerais bien l’écraser contre le mur sur lequel tu t’es adossée. Alors que la mort plane sur ton quotidien, comment prier un Dieu qui enlève une plus innocente que toi ?


Et sous tes yeux en plus, le salaud. Tu ne veux rien dire à un monstre pareil, il ne mérite pas un mot de ta part. Une ordure inhumaine, il ne vaut même pas un regard. Un horrible Dieu, il peut se la mettre où tu penses sa prière.


Dans quelques heures, une poignée de jours, un mois peut-être, tu te rappelleras que l’ignorer est aussi une manière de lui parler. De le prier. Et Lui sera là, prêt à encaisser tes insultes, prêt à porter ta douleur. En silence, comme d’habitude.

Pour Lola. Photo: Stuck in Customs.

lundi 28 juin 2010

Ordinations Day : le Live-tweet d'un dépucelage céleste

Samedi 26 juin, Notre-Dame de Paris accueillait les ordinations des nouveaux prêtres. Dans la masse de cathos, j'étais derrière mon Iphone, à gazouiller.

Pour voir les photos en grand, cliquez dessus. Je change le format dès que j'ai une minute.

8h45: Bonjour et bienvenue à l'#ordinations Day ;)


Au fait, soyez indulgent car c'est un peu mon dépucelage aujourd'hui: première fois que j'assiste aux #ordinations...


9h: On ne voit pas encore la foule, on la devine. Comme on ne voit pas le Bon Dieu, on le devine :)


Une collègue: "Oh regardez, le car des ordinands arrive !"


Pas mal de Vietnamiens déjà présent, l'un des ordinands vient de la-bas.


Contribution : RT @baroquefatigue: Tenez, pour vous unir par la prière aux #ordinations, la prière à N-D du Sacerdoce de Mission thérésienne
.


Devant moi, un curé sort son téléphone, un Android et tapote sur l'écran. High-tech le curé.


Un drapeau du Vatican se balade. Le retrouverez-vous ?


9h25 : Pour suivre les ordinations des nouveaux petits prêtres parisiens, ça se passera donc avec #ordinations et votre serviteuse.


Dans la chaleur de la matinée, cette contre-manif comme dit @edmondprochain s'annonce grandiose.


9h28: Un car de touristes asiatiques vient d'être lâché. Armés d'appareil photos, ils mitraillent.


9h30: Les cloches chantent sous le regard impassible des centaines de statues de la façade, accompagnées par l'orgue.


Il y a foule: 7 000 dehors, 3 000 dedans.


Les ordinands, qui seront prêtres à la fin de la journée, arrivent en procession, entourés de tous les prêtres du diocèse.


Les servants d'autel font un couloir au milieu du parvis, pour accueillir la procession. Oseront-ils la Ola? :)


"Jubilez, criez de joie" ça commence :)


Sur le parvis, les ordinands semblent un peu stressés. Pensez-vous, 10 000 paires d'yeux sur vous... Facile.


Thomas, Nicolas, Grégoire, Nathanaël, les 2 Thierry, Joseph, Luc et Sébastien portent la chasuble du diacre, en travers du torse.


Ils portent tous du rouge, qui symbolise l'Esprit Saint.


Le nonce apostolique, représentant du Vatican, est dans la place !


Mais laissez moi vous les présenter, presque intimement :)


Thomas de Boisgelin, bouillant de pouvoir « donner Dieu aux hommes ».


En fait, ça va beaucoup plus vite que ce que je pensais, je reviendrai sur les ordinands plus tard.


Chacun s'avance au milieu du parvis, accompagné de quelques membres de sa paroisse et de beaux étendards.


"Me voici", la réponse des futurs prêtres raisonne au pied des tours de la cathédrale.


Devant le parvis, ils attendent d'entrée, un peu comme une mariée qui avance vers l'autel.


"Nous les choisissons pour l'ordre des prêtres". Les fidèles les acclament en chantant.


Lecture de l'acte des Apôtres, Nouveau Testament.


Mignonne la lectrice, les mecs vous pouvez regretter de ne pas y être.


Les cathos sont une religion du Livre, mais un peuple de la Parole, c'est pourquoi à chaque messe, nous relisons publiquement la Bible.


Énoncer un texte de l'Ancien Testament et Nouveau Testament les rend vivant, tous les dimanches, tous les jours, à chaque mot.


Et pour les voisins, la grasse mat', c'est mort !


Évangile de St-Matthieu


Mgr Vingt-Trois prend la parole. L'homélie est un approfondissement de la Parole de Dieu, un éclairage pour les fidèles.


"Nous avons été frappé par le mal cette année, et nous demandons pardon pour celui qui a été fait" Mgr Vingt-trois.


"Notre réponse aux problèmes du monde n'est pas dans une stratégie de com, mais là, aujourd'hui sur ce parvis" Mgr Vingt-Trois.


"Nos communautés témoignent que la diversité, quelle qu'elle soit, n'est pas un danger" Mgr Vingt-trois.


"Dire qui est Jésus-Christ ne mène pas toujours à se faire des amis" Mgr Vingt-Trois. Vous êtes mes amis quand même, hein? :)


Peu de langue de buis dans cette homélie, mais gare: le cardinal appelle les cathos à être un flambeau. On va mettre le feu :)


De l'entrée de la cathédrale, l'archevêque André Vingt-Trois fait promettre les 9 ordinands. Oui, ils le veulent.


Contribution: RT @Lagouelle: "Que Dieu Lui-même achève en toi ce qu'Il a commencé."


Les yeux mouillants, ils promettent. Silence de cathédrale sur le parvis. Impressionnant.


Y'a du chef scout très mignon... Les filles, vous ratez quelque chose.

Contribution-réponse : RT @Jiibus : Tu m'as reconnu ? :)


Fail: les 3 journalistes de PND se sont levées pr rentrer en même temps que les prêtres. Pas très discret avec nos jupes...


Contribution : RT @JiiBus: La litanie des saints en direct de ND.
La litanie des saints en direct de ND #ordinations (cc @lepetitchose )

Insolite: des bougies pour Mickael dans un coin du parvis.


L'assemblée prie pour les ordinands, appelant la Vierge Marie et les Saints.



Ils ne se prosternent pas devant les Hommes, mais devant le Saint-Sacrement, une hostie qui représente la présence du Christ
.


Contribution-débat théologique : cette formulation erronée a amené un petit échange bien animé entre @skeepy et @baroquefatigue. Retrouvez leurs remarques sur Twitter (ça commence par
et je ne suis pas trop arrivée à voir où ce "twittconcile sur la définition de la présence réelle" se finissait)


10h40 : Le presbyterium, l'ensemble des prêtres du diocèse, bénit les nouveaux venus dans leur grande famille.


40 minutes à genoux pour nos nouveaux prêtres.


J'en profite pour continuer les présentations.


Nicolas Chapellier, la vocation "carré, logique".


11h Contribution : RT@JiiBus: En complément du beau LT #ordinations de @lepetitchose à Notre Dame, je joins les photos, le presbyterium.
En complement du beau LT  #ordinations de @lepetitchose a Notre Dame je joins les photos, le presbyterium


Grégoire Froissart, en quête d'absolu.


Nathanaël Garric, pris aux tripes.


Thierry Laurent, avocat de la cause de Dieu.


Thierry de Lesquen, changement de lunettes pour regarder la vie.


11h10 Contribution : Petite fierté, #ordinations est
4e des trending topics français. Certes, les adeptes de Twitter dormaient probablement encore...


Joseph Nam, outsider inside now.


Luc Revdel, le rôle de sa vie.


Sébastien Waeffler, en odeur de sainteté.


Pause clope sur le parvis, alors que l'Esprit souffle, que le soleil tape, et que les gamins courent dans tous les sens.


Sur le parvis, portraits des nouveaux prêtres de KTO sur grand écran. Ça en jette plus qu'un match de foot :)


Un petit vieux, en costard, billes de bois en mains, récite son chapelet sous le cagnard. Concentré.


Contribution: RT@JiiBus: Guy Gilbert à l'approche #ordinations


Insolite: des joggers passent au milieu du parvis, tranquille, pénard. Devant 7 000 personnes en prière :)


Bénédiction sacerdotale, comme la bénédiction nuptiale mais pour les prêtres (je ne mets pas la photo déplorable que j'avais mise. Une honte.)


11h30 : L'archevêque remet une étole sacerdotale et une chasuble aux désormais prêtres.


Ces vêtements liturgiques, non pas un signe de supériorité ou de différence, doivent rappeler le poids de leur charge.


L'archevêque oint les mains des nouveaux prêtres de Saint Chrême, huile bénie pendant la
messe chrismale.


Un signe de croix dans chaque paume. Trop loin pour une pic, si @jibus peut palier à mes défauts...


Il leur remet ensuite le pain sur une patène, assiette où seront posées les hosties. Le kit du curé quoi :)


Puis il leur remet le vin, mélangé à l'eau dans un calice. La suite du kit...


Ils peuvent maintenant célébrer la messe, au nom du Christ qui livre sa vie par amour pour les Hommes (tweet sponso par l'Esprit saint).


Servants de messe sortent, parapluie à la main. C'est pas qu'il pleut, c'est qu'on crève de chaud. Et pour repérer la communion.


Le parvis est noir de monde mais de toutes les couleurs. Recueillement maximum.



Le nonce bénit les offrandes, avec l'évêque vietnamien.


Des centaines de mains tendues pour bénir ce pain et ce vin, une concélébration gigantesque...


Des centaines de voix se mêlent, interrompues par quelques tintements de cloches. Sur le parvis, frisson face à tous ces croyants.


Une Eglise, des milliers de visages et de façon de prier.


A chaque messe, on se donne la paix. Et qu'après on ne vienne pas me dire que cette religion appelle à faire la guerre, bon dieu !


Une file de prêtres et de diacres file sur le parvis pour donner la communion.



On peut ne pas comprendre leur choix ou le désapprouver, mais il en faut pour faire l'engagement qu'ils viennent de prendre...


Sur cette petite île de la Cite, les oiseaux accompagnent les prières silencieuses et... Mickael Lonsdale sort d'une rangée.


Après la nourriture spirituelle, l'open pique-nique ouvert à tous dans le square derrière N-D ! Comment ça, chui gourmande? :)


12h30: après le pain de Dieu, c'est donc le pain des hommes qui arrive sur le parvis.


Levée de foulards multicouleurs presque spontanée. On n'a pas l'air con les bras en l'air, à presque 3 sur un plot.


Maintenant ils vont bénir ceux qui viennent à eux. Pour l'instant, ils sortent sous les hourras et la vague de foulards a pris !


Petite pause, il faut aussi que je travaille un peu pour gagner mon salaire quand même, parce que LT ça nourrit pas :)


13h10 : pique-nique sous les arbres, à l'ombre de la cathédrale, clapotis de la Seine, légère brise, premier coup de soleil chez moi...


Bataille d'eau, version concours de t-shirts mouillés #tentant. A coté, les prêtres bénissent toujours, dégoulinant de sueur.


La Fondation d'Auteuil a mis les petits plats dans grands. Succulent.


@polydamas_AIP est bien venu aujourd'hui à ND... à la fin de la messe, pour le buffet. C'est ça, les tradis :)


Contribution qui m'a fait rire : Vogelsong: Aujourd'hui suivez le livetweet de l'#ordinations avec @leptitchose et @jbroger à la Gaypride #twitter_rocks


Contribution divine : RT @ymobactus: @lepetitchose: tu connais pas le 13ème commandement "Le buzz tu ne feras pas" ? Bien joué pour les #ordinations ;o)

mercredi 16 juin 2010

Le cocon du papillon


Ecris en écoutant Y'avait Tant D'étoiles, Patricia Kaas (Spotify)

Elle enfile un t-shirt trop large et pose difficilement un pied devant l'autre. Après s'être cognée deux fois contre la petite table du salon, Elle décolle une paupière. Blottie entre les gros coussins rouge et jaune du canapé, Elle ramène ses jambes contre son torse et se laisse aller à la douceur du tissu. Le jus d'orange et les fraises embaument la pièce. Ses narines frissonnent. Elle serre ses bras autour d'Elle, les yeux mi-clos. Des voix échangent des banalités à quelques mètres. Douces, rassurantes, entrecoupées par les craquements du parquet. Un rayon de soleil tombe sur un coin de la salle à manger. Bols en porcelaine remplis de lait écrémé, croissants entamés et pain frais à moitié englouti... Petit déjeuner dévasté par les morfales de passage dans la maison familiale. Le tintillement des couverts est recouvert des rires qui s'envolent dans l'air du début de l'après-midi. Une mèche tombe négligemment sur son front. Une autre joue avec la gravité et se dresse sur sa touffe de cheveux en bataille. Son souffle ralentit. Une fossette apparaît au coin de sa bouche alors que ses muscles se décontractent. Patricia Kaas parle d'étoiles. Les toiles deviennent floues, les murs de chaux recouvertes de vernis oranger vacillent. Au creux du cocon, le temps suspend son cours, l'histoire ralentit sa course. Sereine, Elle disparaît.

vendredi 28 mai 2010

A ton enterrement, les étoiles parlent

Jacques-Philippe Martin. 22 juin 1925 - 23 mai 2010.

"Le tableau que nous pouvons peindre de toi commence par de grandes mains aux avant-bras noueux. Tes doigts ont toujours eu l'odeur du fusain, la trace de la sanguine et les paumes ouvertes, comme une invitation. Au dessus de ton bureau, nous déchiffrions ton diplôme des Beaux Arts. "C'est vraiment à toi, Papy ?".
Une de tes petites-filles sur les genoux, tu t'attardais longuement sur tes soirées passées dans l'ancien palais des papes, un crayon à la main. La réussite par le travail. Le leitmotiv de notre famille. "Sois attentive à l'école, sinon tu finiras à l'usine de pâtes".

Dans ton atelier, tu nous donnais quartier libre. C'était ton univers que nous découvrions : les pinceaux aux milles formes, la palette de couleurs infinies, les feuilles gribouillées qui volaient dans tous les sens, les paysages du Brésil, des Antilles et autres coins du monde où tu étais allé dessiner des voies de train. Sur les murs, Van Gogh nous regardaient attentivement mettre tout sens dessus dessous.

Un joyeux bazard que nous apportions aussi dans ce chalet de Haute-Savoie où tu subissais nos caprices tous les étés. Les plans sont nés de ton esprit, les planches ont été posées à la force de tes bras. Un roc d'amour, le Roc'amour. Pour la sieste, nous nous blottissions contre ton grand corps, affalés sur le canapé devant la vieille télé à quatre chaînes. Des nombreux soirées de nouvel an passées ensemble, il ne nous reste qu'un goût de chocolat sur le palais. Et l'impression d'avoir évité quelques crises de foie grâce à ta vigilance. La petite lampe allumée dans l'obscurité de la nuit, aussi, et ta main sur notre épaule.

Celle-là même qui agrippait le bras de tes visiteurs la semaine dernière. Un sourire malicieux aux lèvres, tu chuchotais alors "Tu es fort, tu m'emmènes, on ne dit rien à personne et on fait le mur. Si quelqu'un nous cherche, on dira que j'ai été enlevé par mes enfants". Aujourd'hui, tu es enlevé à nous mais tu n'es pas parti. Tu es allé t'asseoir sur un trône dans le ciel. Nous te trouverons toujours dans la voûte céleste. Nous, sept étoiles et un astre filant, comme les quatre petites étoiles qui suivent et les trois à venir, nous sommes à tes côtés. Protégées à jamais."

dimanche 23 mai 2010

Pour que traces de toi il reste, indélébiles

Ecris en écoutant Quand on n'a que l'amour, de Jacques Brel

J'avais prévu un beau hiatus, un énorme cri de révolte à coup de "Tu fais chier Dieu" et autres invectives que j'aime à Lui envoyer quand la réalité ne me plaît pas. Et puis, la vague de rébellion n'est pas venue. Les larmes sont montées, mais seulement la joie des instants passés m'a submergée. J'avais prévu une plume bien trempée, un dialogue enflammé à coup de "Tu fais chier Dieu" et autres plaintes sourdes que je Lui adresse quand ses choix me déplaisent. Et puis, les soubresauts de mon corps n'ont pas eu ce goût amer de défaite. Les spasmes n'ont pas cessé, mais mon coeur a sursauté devant les souvenirs qui m'ont envahie.
Doucement, une odeur de bonbons cachés dans un placard en bois m'a pris le nez. Naturellement, un rayon de soleil venu du sud qui perce sur une terrasse marseillaise m'a caressé le visage. Simplement, son sourire est apparu et son histoire s'est formée au bout de mes doigts. Je n'ai pas besoin de lui dire au revoir, il n'est pas parti bien loin. Je n'ai pas besoin de lui crier mes regrets, je n'en ai pas. Je n'ai pas besoin de chercher de fil rouge à ce portrait incomplet, il coule dans mes veines.


Je ne sais pas si je te connaissais si bien que cela. Je serai bien incapable de faire ta biographie en dix dates et trois moments clefs. Le tableau que je peux peindre de toi commence par de grandes mains aux avant-bras noueux. Ils se sont formés dans les champs d'Avignon, à ramasser les patates, retourner la terre, et tenir fermement les rênes d'un cheval pour rendre visite à la demoiselle du village voisin qui a partagé un demi-siècle avec toi. Tes doigts gardaient les traces de la corne, venue quand tu posais des rails de chemin de fer. Une de tes sept petites-filles sur les genoux, tu passais rapidement sur cette période mais t'attardais longuement sur les Beaux-Arts. Dans l'ancien palais des papes, je te devinais, restant tard, un crayon à la main, les cheveux n'ayant pas encore virés au blanc argenté. La réussite par le travail. Le leitmotiv de notre famille. "Sois attentive à l'école, sinon tu finiras à l'usine de pâtes".
Dans ton atelier, tu nous donnais quartier libre. C'était ton univers que nous découvrions : les pinceaux aux milles formes, la palette de couleurs infinies, les feuilles gribouillées qui volaient dans tous les sens, les paysages du Brésil, des Antilles et autres coins du monde où tu étais allé dessiner des voies de train. Sur les murs, Van Gogh nous faisait un clin d'oeil, les fleurs impressionnistes nous emmenaient en balade, les femmes de Gauguin nous regardaient attentivement mettre tout sens dessus dessous.
Un joyeux bordel que nous apportions aussi dans ce chalet de Haute-Savoie où tu subissais nos caprices tous les étés. Les plans sont nés de ton esprit, les planches ont été posées à la force de tes bras. Un roc d'amour, le Roc'amour. A flanc de montagne, tu prenais soin de ton jardin que nous saccagions années après années. Dans la petite chambre, à côté du studio où tu dormais avec Mamy, tu n'oubliais jamais de brancher la petite lumière rouge qui veillait sur notre sommeil. A l'étage, pour la sieste, nous nous blottissions contre ton grand corps, affalés sur le canapé devant la vieille télé à quatre chaînes et sans télécommande. Des nombreux soirées de nouvel an passées ensemble, délaissés par nos fêtards de parents, il ne me reste qu'un goût de chocolat sur le palais. Et l'impression d'avoir évité quelques crises de foie grâce à ta vigilance. La petite lampe allumée dans l'obscurité de la nuit, aussi, et ta main sur mon épaule. Celle-là même que je serrai fort pour que tu ne glisses pas sur les plaques de verglas en allant à la messe, le soir de Noël. "Ce curé noir me rappelle les gens que j'ai rencontrés quand j'étais en Afrique", m'avais-tu chuchoté une fois, en plein office.

Je ne sais pas ce que tu aimais, la musique que tu écoutais, le parti pour lequel tu votais, le syndicat qui t'a amené à manifester, ta couleur préférée ou même ton signe astrologique. Je serai bien incapable de deviner tes réponses au questionnaire de Proust. Le croquis que je peux esquisser de toi passe forcement par le bleu de tes yeux. De la même couleur que celle de l'équipe de foot de ton cœur. Tu t'es bien gardé de me parler ballon rond, Dieu merci, mais ton regard s'allumait quand nous discutions ovalie. La Coupe du monde, de passage au stade vélodrome, m'a donné bien plus qu'un plaisir de fan de rugby.
Je te revois sur le pallier, chemise propre et bouteille d'eau de Cologne vidée sur ta nuque. Tu tenais déjà mal sur tes cannes mais le trajet en bus et tram ne t'effrayait pas. Ton escorte te protégeait. Impossible de me rappeler le score de ce All Black-Italie. Mais je me revois courir pour t'acheter deux bouteilles d'eau, remettre ta casquette ringarde sur ton crâne déjà rougi et guetter ton sourire dans la olà. Pendant le retour, je m'agrippais à toi fermement, terrifiée qu'un mouvement de foule ne te renverse, prête à castagner pour te frayer un chemin.
En arrivant, le dîner nous attendait sur la table. Tu t'es installé, comme avant chaque repas de famille, une fourchette à la main et une gousse d'ail dans l'autre. Un peu de sel, beaucoup de poivre et ton huile d'olive maison. "Le secret, c'est de bien écraser les morceaux pour qu'ils libèrent leur arôme". La sauce salade, seule plâa que je suis sûre de ne jamais râter, seule leçon de cuisine que j'ai jamais respectée. Tu lâchais des bribes en provençal de temps en temps. Des gros mots pour la plupart, dans mon souvenir. Dialecte inconnu à nos oreilles, mais à la sonorité chantante qui m'émerveillait.

Peu de citations de toi, finalement, dans ce portrait improvisé. Comme si ta voix n'avait jamais été le plus important (mais bien sûr que je t'écoutais !). Ce n'est pas ce que tu disais de la vie qui doit rester, mais la manière dont tu l'as menée. Tous les ans, le 12 juin, c'était la même rengaine. "Tu sais, quand tu es née, j'étais au Mozambique. Je me rappellerai toujours du préposé au télégramme qui courre vers moi. Monsieur Martin, Monsieur Martin, vous avez une petite fille ! Comme j'étais heureux... On a sorti les verres et on a trinqué". Vingt-cinq années après, cette anecdote qui résonne encore dans mes tympans est ce qui va manquer le plus.

samedi 22 mai 2010

M'étendre sur l'asphalte et me laisser vomir


J'ai le teint terne et les yeux qui cernent. Un peu de Nutella dans l'haleine et un hâle de haine au fond de la gorge. Si je ne devais pas travailler, je ne me lèverais pas. Si je ne devais pas vous appeler, je ne parlerais pas. Les cheveux en bataille, la tête en chantier, un marteau-piqueur dans les tempes et un rictus las au coin des joues. Si je pouvais, je dormirais. Si je voulais, je me réveillerais.
Mais je ne veux pas. Votre monde qui tombe en lambeau ne m'habille pas d'or et de lumière. Les guenilles que vous m'avez laissées attaquent ma peau et ma volonté. Vos querelles de grands hommes et d'étroits esprits tuent mes neurones à petit feu. Je ne prendrai pas les armes, elles font aussi mal que vos discours.

Vos grands mots sont les maux de mes nuits et de mes jours. Tour à tour, ils me tombent dessus comme des coups de massue. Mes mains ne me protègent plus de vos assauts. Mes paumes sont constamment attaquées par la virulence de votre venin. Insidieusement, il se faufile dans mes pores, brûle mon énergie et me laisse gisante sur le macadam. Votre verve vaniteuse n'y changera rien, vous avez échoué et vous vous gaussez que l'on doive reprendre votre flambeau éteint. Après votre passage, même l'herbe sous mes pieds pue le cramé.

Lui, là-haut, nous regarde avec attention, comme un curieux devant un troupeau de têtards gesticulant dans la vase. Lui, là-haut, a les yeux rivés sur nous et des rivières de larmes nous tombent sur le coin de la gueule. Cette existence tue. Je sauterai volontiers dans un trou noir. Une autre dimension. Une réalité alternative.


C'est réducteur ? Je sais, des morceaux de positif se baladent ça et là dans ce monde flétri. Pour l'instant, mes cils inférieurs et supérieurs sont englués les uns aux autres. Un jour, je serai avenante et souriante. Mais pas demain. Demain, je prie pour que mon sang meure.


Ecris en écoutant "Les vieux", Jacques Brel
Photo de _Fü_'s (Flickr)

lundi 17 mai 2010

Allo Dieu ? Je suis pas d'accord !

- Allo Dieu.
- Oui ?
- En fait, non, je ne suis pas d'accord !
- Tiens donc ?
- Je sais, c'est toi qui décide, tu sais mieux que moi, mieux que nous. Je sais, je ne suis pas grand chose, je ne devrais même pas t'apostropher comme ça.
- Quoi que je dise, tu ne t'en prives pas alors autant que cela serve.
- Je sais, il y a d'autres sujets sur lesquels je devrais m'énerver contre toi, la faim dans le monde, la connerie humaine, la guerre, les maladies et finalement, il n'est qu'un seul être en fin de vie.
- Je suis en toutes petites choses alors je suis là aussi en lui.
- Je sais, il n'y a rien d'extraordinaire à avoir un grand-père malade, je n'ai pas de regret, ce n'est pas comme si nous étions dans le besoin ou la détresse. Ce n'est pas comme si ces derniers instants ne révélaient pas des trésors de partage.
- Vas-y, demande, arrête de tourner autour du pot.
- Je ne veux pas qu'il parte. C'est assez simple finalement. Tu ne peux pas faire un effort ?
- Que crois-tu que je puisse faire ?
- Un tour de passe-passe. Réparer son cœur, ce n'est qu'un ou deux tuyaux à fixer. De la bête plomberie. Vider ses poumons de l'eau qui monte, ce n'est pas comme si tu ne maîtrisais pas cet élément. T'as déjà jouer avec. Le reste, ce sont des broutilles, un peu d'huile dans les articulations, histoire qu'il soulève son pinceau à nouveau, qu'il marche de la télé à la cuisine.
- Cent balles et un mars aussi ?
- Non, les mars, j'essaie d'arrêter, et on est passé à l'euro. Tu suis pas trop de là-haut.
- Ça serait un peu suspect, un miracle ?
- Comme si ça t'avait retenu dans le passé. Fais pas l'innocent. T'as juste à retenir la petite colombe de l'Esprit Saint dans tes mains quand il demandera le sacrement des malades ce soir.
- Tu crois vraiment que c'est une solution ?
- Non, je sais que ça ne l'est pas. Je sais aussi que s'il a demandé une dernière bénédiction, c'est qu'il en a besoin... qu'il sait que c'est la fin. Mais aujourd'hui, je préfère t'engueuler, c'est plus simple. Une querelle de Père à fille en somme.